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lieu d’un point d’orgue, Frédéric se tourne vers ceux qui l’accompagnent, et tout ému de joie : « Messieurs, leur dit-il, je vous annonce que le vieux Bach est arrivé. » Aussitôt deux pages sont envoyés à l’hôtel où est descendu le maître de chapelle. Bach, fatigué du voyage, s’apprêtait à se mettre au lit ; une servante vint lui annoncer que des jeunes gens demandaient à lui parler. « Vous vous trompez, ce n’est pas moi ; je n’ai point eu le temps de prévenir mon fils, et je ne connais personne dans la ville. » À ces mots, les deux envoyés de la cour entrent dans la chambre.

— Vous êtes maître Jean-Sébastien l’organiste ?

— Sans doute.

— C’est donc à vous que nous avons à faire. Nous venons de la part du roi, avec ordre de vous emmener sur-le-champ au palais.

— Mais vous le voyez, je descends de voiture ; il m’est impossible de vous accompagner ce soir à la cour. Dites au roi que c’est à son intention que j’ai fait le voyage. Demain, je serai tout à son service.

— Le roi vous demande sur l’heure. Si vous tardez encore, il viendra lui-même vous chercher.

— Vous me permettrez du moins de changer d’habit.

— Ce serait trop long. — Et les deux chambellans le saisissent au bras et l’entraînent de force. Le pauvre Sébastien, couvert de fange et de poussière, fut obligé de monter en carrosse et de s’en aller au château.

Pendant ce temps Frédéric, pour recevoir dignement son hôte, avait fait distribuer aux musiciens la partie d’un motet à huit voix de Jean-Sébastien, et c’était Emmanuel Bach, maître de chapelle de la cour, qui dirigeait cette musique improvisée en l’honneur de son père. Le chœur chantait à pleine voix lorsque Bach entra dans le premier salon. Il s’attendait à trouver le roi seul et fut tellement ébloui par tout cet appareil d’harmonie et de lumière, qu’il ne s’aperçut pas d’abord qu’on exécutait sa musique. Cependant la rumeur devint générale, le nom de Bach courait de bouche en bouche, les femmes se penchaient sur leurs sièges pour le regarder ; lui-même, après quelques mesures, avait reconnu l’intention délicate de Frédéric. Sébastien était heureux, de grosses larmes ruisselaient sur sa joue. Emmanuel, de son côté, avait revu son père, dont il était séparé depuis trois ans. Jamais office de Noël ne parut aussi long aux clercs d’une paroisse, que ce motet aux