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Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 7.djvu/744

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REVUE DES DEUX MONDES.

Jean-Sébastien, l’invitant à faire de même. Sébastien avait disparu, et tandis qu’on le cherchait parmi les assistans, il s’éleva tout à coup dans l’église une musique étrange, un chant céleste et pur, d’une mélancolie ineffable. On eût dit un chœur entre les vierges de la terre et les anges du paradis. Les unes déploraient leur chaste sœur enlevée aux tendresses de sa mère, à l’amour de ses compagnes, aux fraîches voluptés de la jeunesse ; les autres chantaient la glorieuse élue et toutes les joies qui l’attendaient au ciel à la droite du Christ. — C’était lui, le grand organiste, qui répandait d’en haut ses larmes sonores et mélodieuses, lui qui versait son harmonie ainsi qu’une eau bénite sur le sein de la jeune morte. Douce vierge d’Allemagne, tu tressaillis alors dans ton suaire humide et demandas si ce n’étaient point déjà les célestes rosées.

Sébastien demeura quelques jours encore à Potsdam, puis malgré les instances de Frédéric, qui voulait le retenir auprès de lui, malgré les prières de ses enfans, il alla reprendre son poste, et partit, emportant avec lui l’amitié du roi et de tous ceux qui l’avaient connu. Arrivé à Leipzig, il se mit à travailler un thème qu’il avait reçu de Frédéric, composa divers canons et fit graver l’œuvre complète, la dédiant au royal musicien.

Ce fut là le dernier voyage de Bach. L’assiduité constante avec laquelle il se livrait au travail avait épuisé les forces de sa vue. Sa lampe d’études avait brûlé ses yeux, et maintenant, chaque nuit, pareille au flot qui se retire, déposait sur sa paupière un voile de graviers. Douloureuse pensée ! il brisait le corps en fécondant l’esprit, et ses veilles lui préparaient un mal triste et cuisant qui devait finir par la plus déplorable infirmité. Sébastien devenait aveugle. Il supporta avec calme et résignation le fléau que le Seigneur lui envoyait, et s’il consentit à s’abandonner aux mains d’un oculiste, ce fut bien plutôt pour céder aux sollicitations de ses amis, que pour trouver la guérison d’un mal qu’il regardait comme incurable. L’opération fut deux fois reprise et deux fois échoua. Dès-lors il fallut désespérer : une tristesse morne s’empara de lui, comme un pressentiment de sa fin prochaine ; ses genoux ployèrent, et tout son corps, si robuste autrefois, s’inclina vers la tombe. Sébastien Bach traîna six mois encore une débile existence, et le 20 juillet 1751, s’endormit sur le soir dans les bras de ses nombreux enfans. Le dixième jour avant sa mort, Sébastien, à