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Telle est l’histoire de cet homme étonnant. J’ajouterai qu’il se maria deux fois. Il eut de sa première femme sept enfans, treize de la seconde, en tout onze fils et neuf filles. Tous les fils ont été doués de hautes dispositions musicales.

Maintenant, si vous descendez dans les détails de sa vie privée, vous ne trouverez que sacrifices envers sa famille et dévouemens continuels envers les malheureux. Comme presque tous les hommes de conscience et de génie, Sébastien vécut, sinon dans la misère, du moins dans l’honorable médiocrité de la fortune. Les modestes revenus de sa charge suffisaient à l’entretien de ses nombreux enfans ; qu’avait-il à s’occuper du reste ? Certes, au lieu de vivre ainsi, plongé dans l’étude et la composition, au lieu de passer des jours entiers à jouer au peuple les cantiques du ciel, s’il eût voulu descendre dans les salons des financiers de l’Allemagne, et réjouir l’oisiveté des grands seigneurs, il aurait pu amasser de l’or comme tant d’autres. Mais les hommes de la trempe de Sébastien accomplissent jusqu’au bout l’œuvre à laquelle ils sont appelés sur la terre, et meurent dans la solitude et l’oubli plutôt que d’imiter ces mercenaires qui trafiquent de l’art comme d’une chose qui se vend.

Sébastien n’évita jamais l’occasion de porter secours à ses frères, bien que cette occasion s’offrît à lui plus souvent qu’à tout autre. Son dévouement était connu, et de tous les points de l’Allemagne les artistes malheureux, comme des voyageurs égarés, se hâtaient vers cette lumière bienfaisante. Dans le nombre, on n’en citerait pas un qu’il n’ait accueilli, fait asseoir à sa table à côté de ses enfans, et pour lequel il n’ait employé tout son crédit. Les hommes tels que lui marchent au milieu des bénédictions de la multitude ; la sérénité de leur visage, le charme de leurs discours, répandent l’harmonie autour d’eux et préparent les ames à recevoir la musique divine. Ils sèment dans le peuple la parole qui leur est donnée, et partout où la terre est bonne, ce grain prend racine et fructifie. Heureux celui qui passe sa jeunesse en leur intimité ; heureux celui qui se souvient de l’œuvre qu’ils ont faite, et quand ils sont oubliés de tous, écrit l’histoire de leur vie. La vie de ces hommes est comme une racine de bois de rose qui parfume d’agréables senteurs l’atelier de l’ébéniste qui la travaille.

À quelques différences près, le piano et l’orgue paraissent aux gens du monde des instrumens d’une même nature. Tous les deux