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JEAN-SÉBASTIEN.

chose qui frappe dans ses motets et témoigne de son bon goût, c’est son éloignement pour les concetti si journellement usités dans la musique d’église. En effet, il ne lui est jamais arrivé de chercher à rendre l’expression de certaines paroles. Il voyait de plus haut, et se contentait d’exprimer le sentiment général sans s’inquiéter de la lettre. Ses chœurs sont pleins de majesté, ses récitatifs bien déclamés, et pourvus de basses imposantes. Dans ses airs, où il se trouve tant de mélodie heureuse, il semble s’être conformé aux forces de ses chanteurs, qui poussaient néanmoins de longues plaintes sur la difficulté qu’ils avaient à les exécuter ; et si sa musique d’église est moins admirée de notre temps que ses autres œuvres, c’est à leur médiocrité qu’il faut s’en prendre.

L’œuvre de Jean-Sébastien est immense et telle qu’au premier aspect il semble impossible qu’un homme ait pu élever un monument pareil. C’est une fécondité sans exemple. À quoi donc, s’il vous plaît, comparer cette ame d’où s’est échappé assez de mélodie pour remplir toutes les églises, tant que les églises seront debout sur la terre ? À quoi la comparer, cette ame, si ce n’est à la nature, sa mère, qui tous les ans jette hors de son sein les fleurs, les moissons et les sources d’eaux vives ? Si l’on vous disait : Un homme s’est trouvé qui a écrit des chorals sans nombre, des préludes, des morceaux d’orgue et de clavier, des fugues, des livres de théorie sur son art, des solos pour tous les instrumens, des oratorios, des messes, des magnificat, des sanctus, des motets à deux chœurs, des musiques de baptême, de fiançailles et de mort ; et tout cela est beau, tout cela est épique, tout cela est grandiose et marqué de génie ; auriez-vous assez d’admiration pour cet homme ? Eh bien ! tout cela n’est qu’une faible partie de l’œuvre de Jean-Sébastien Bach ; tout cela pourrait disparaître sans que sa gloire en fût altérée, car il a fait, en outre, de quoi suffire pendant cinq ans à tous les offices de l’église, et mis cinq fois en musique la passion de Jésus-Christ.

Pour l’inconcevable hardiesse de la conception, le travail minutieux des parties, l’exécution exquise et délicate des moindres détails, l’œuvre de Sébastien ressemble à une cathédrale gothique. Arrêtez-vous sur la place d’Amiens, de Strasbourg ou de Cologne, à l’heure du crépuscule matinal : le ciel se teint des premières lueurs de l’aube, l’alouette s’éveille à peine, cette masse de granit vous