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L’ESPAGNE AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.

briles qu’interrompent des défaillances soudaines. Ce n’est pas durant la crise seulement qu’il convient de l’observer, car la scène change d’heure en heure au point de ne présenter qu’une incompréhensible confusion. Les forces actives de ce pays, le peuple et l’armée, ses forces intellectuelles, la noblesse, le clergé, la propriété, l’industrie, semblent accepter sans plus d’enthousiasme que de résistance les hommes et les choses les plus disparates ; et à chaque changement nouveau, les mêmes phrases banales sur l’héroïsme espagnol se reproduisent avec une imperturbable régularité comme une perpétuelle ironie.

Au sein de ce peuple qui fit tant de grandes choses, et qu’on devine capable d’en réaliser encore tant d’autres, si une idée puissante le saisissait comme en 1808, pas un homme ne s’élève avec quelque autorité, pas une institution ne se présente avec quelque force et quelque prestige. Il y a là des généraux expérimentés, d’harmonieux discoureurs, des ministres de lumières et d’expédiens ; mais ni généraux ni hommes politiques ne peuvent rien, et leurs vainqueurs ne peuvent guère plus qu’eux-mêmes. Tout avorte, et la guerre civile qui se maintient sans s’étendre, et le jacobinisme qui, après s’être vautré dans le sang, se lave les mains pour paraître aux galas de la cour, et associe aux vieilles déclamations des clubs des hommages à la reine idolâtrée et à l’innocente Isabelle. Don Carlos ne franchit pas ses montagnes dans les circonstances les plus favorables que prétendant ait jamais rêvées, mais le mouvement ne semble pas plus appelé à en finir avec lui que la résistance. On dirait que l’Espagne, assez vivante pour ressentir toutes les douleurs à la fois, n’a plus assez de force pour se défendre contre aucune d’elles.

Au lieu d’écouter le bruit des fusillades de la Navarre, et de contempler ces révoltes prétoriennes, orgies de corps-de-garde où l’ivresse du vin remplace celle des passions qu’on feint encore et qu’on n’a plus ; sans chercher à peindre une situation dont les détails nous échappent, et que le flot révolutionnaire emporte avant qu’elle ait pu se fixer, remontons plus haut dans le passé de l’Espagne, jusqu’au moment solennel où elle se prit à secouer son sommeil séculaire, provoquée par la trahison du grand homme auquel elle s’abandonnait avec tant de confiance.

Nous voudrions dégager les idées qui tendaient alors à se faire jour dans la Péninsule, et dont le progrès fut interrompu par un concours de circonstances fatales, pour arriver à montrer sous quelles inspirations ont agi les cortès constituantes de 1812, et sur quelle force a pu s’appuyer à son tour Ferdinand VII pour renverser leur ouvrage. C’est ainsi seulement qu’on fixerait le sens de cette révolution de 1820, qui, acceptée d’abord avec enthousiasme, ne trouva pas après trois ans un corps d’armée pour la défendre.