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Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 8.djvu/116

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REVUE DES DEUX MONDES.

mains de qui passent des sommes énormes, et qui se contentent de leur modeste pitance, sans avoir même le mérite de résister à la tentation, car ils ne la conçoivent pas ; et, même dans les administrations civiles, cette foule d’employés modestes qui n’ont pas, comme d’autres, les charmes économiques de l’étude pour adoucir leur pauvreté, ou les impressions profondes d’une grande éducation pour leur faire dédaigner l’appât des transactions véreuses, et dont cependant la probité ne trébuche pas. Tous rament avec conscience à travers une société dont le luxe et les séductions vont toujours croissant, sans jamais se laisser dériver contre l’écueil de la corruption. C’est là une des gloires de la France, gloire dont elle n’est pas assez fière.

La question est de savoir pourtant, non si cela est honorable, mais si cela peut durer, s’il ne se prépare pas des évènemens ; s’il ne se développe pas au sein de la société de nouveaux usages et des idées nouvelles, qui, d’ici à peu de temps, rendront cet état de choses impraticable.

La grande révolution qui est en train depuis trois cents ans, et qui a changé la foi religieuse d’une partie du monde, a saisi enfin, par la politique et la philosophie, la France, qui lui avait échappé du temps de Luther et de Calvin. La réforme, s’étendant de plus en plus, a envahi l’aspect matériel de la société. Le travail sous toutes les formes, fécondé par la révolution intellectuelle, va enfin porter, en abondance et pour tous, les fruits qu’il ne donnait autrefois qu’en petit nombre et pour une imperceptible minorité. Le cercle de la richesse va s’élargir au décuple, celui de l’aisance au centuple. Il suffit d’ouvrir les yeux pour voir venir des quatre points cardinaux un nouvel ordre de choses, où l’agriculture, les manufactures et le commerce, infiniment plus actifs et mieux combinés que ne pouvaient le supposer nos pères, seront aussi infiniment plus productifs, et où une répartition plus équitable des produits appellera l’immense majorité, sinon la totalité du genre humain, aux joies de la consommation.

Mais cette révolution industrielle et matérielle ne réagira-t-elle pas sur la morale ? Le jour où il sera possible à tous de s’élever par le travail à la richesse ou à l’aisance, l’abstinence et la pauvreté resteront-elles de si hautes vertus, si essentielles à montrer au monde ? Pourra-t-on continuer d’en faire, aux serviteurs de l’état,