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REVUE. — CHRONIQUE.

importance personnelle, n’a plus l’ardeur doctrinaire qui l’animait au début de la carrière ; M. Persil est devenu plus habile, et semble vouloir s’empreindre de modération. Jamais, en réalité, M. Guizot n’a été plus seul et plus affaibli. Malgré ses instances auprès de M. Martin (du Nord) pour lui faire prendre un portefeuille, il ne saurait compter sur l’amitié à toute épreuve de l’ancien procureur-général. Depuis qu’il est sorti de ses habitudes judiciaires, M. Martin (du Nord) n’est plus le même homme ; il a tout oublié, réquisitoires, diatribes contre les factions, prosopopées contre l’anarchie. Depuis sa convalescence, le nouveau ministre ne songe plus qu’à la liberté… à la liberté du commerce ; il étudie à la hâte l’économie politique. Il est parti hier pour la campagne, emportant avec lui Say, Malthus et Ricardo ; il y restera huit jours, et nous reviendra savant en matière de tarifs et d’impôts. On dit que Lucullus apprit l’art de la guerre pendant le cours de son voyage de Rome en Asie. Nous souhaitons à M. Martin (du Nord) cette facilité victorieuse qui sait se jouer et se passer du temps.

La première question sur laquelle s’est divisé le conseil a été la nomination du ministre de la guerre. M. Molé proposait le général Bernard, et a soutenu son choix avec vigueur ; il l’a emporté après un vif débat sur M. Guizot, qui demandait le général Schramm ou le général Fleury. La distinction glorieuse que Napoléon a fait tomber sur le général Bernard, ses connaissances variées, son séjour chez un peuple gouverné par des institutions libres, l’aménité et la modération de son caractère, semblaient à M. Molé de justes motifs de préférence qu’il a fait triompher dans le conseil, et M. Guizot a dû accepter comme collègue un membre du ministère des trois jours, sinon un adversaire prononcé, du moins un dissident politique.

M. Molé ne paraît pas disposé à renoncer aux droits de la présidence ; il a pour lui sa haute position, la bienveillance du roi, qui le voit et l’écoute avec plaisir. On subit plutôt M. Guizot qu’on ne le goûte ; on l’a pris parce que la retraite volontaire de M. Thiers désignait naturellement son adversaire parlementaire pour successeur jusqu’à la réunion des chambres, jusqu’au moment où la majorité pourra se prononcer de nouveau. S’il est vrai que le roi ait dit au cabinet du 22 février : Je suis un roi constitutionnel, revenez par les chambres, et je vous reprendrai avec plaisir, M. Guizot doit être peu flatté de son intérim. Mais le ministre de l’instruction publique espère bien changer l’intérim en permanence ; il s’agite, il se remue, il se défend, il se transforme. Tantôt il se fait représenter comme l’homme de la liberté ; il fait écrire qu’il a découvert un des premiers que la France était un pays d’égalité ; tantôt il se donne comme le soutien du 13 mars et du 11 octobre. Veut-on de la liberté ? il