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de la Péninsule, mais parce qu’à l’exemple de la France révolutionnaire, elle est placée dans une situation où ce vœu doit nécessairement rester inexaucé. Son histoire, en se déroulant devant nous, va confirmer par un nouvel exemple cette assertion, triste peut-être, mais trop fondée, que pour atteindre un but et s’y fixer, il faut presque toujours commencer par le dépasser.

La décomposition du vieux régime espagnol, attaqué par Ferdinand-le-Catholique dans des vues nationales, par Charles-Quint dans l’intérêt égoïste de sa propre grandeur, était consommée au commencement du xviiie siècle[1]. Cette œuvre de démolition, à laquelle s’était ardemment attachée la maison de Bourbon, avait été d’autant plus facile, qu’à part les nations basques, dont nous exposerons plus tard la situation exceptionnelle, l’ancien droit public des royaumes péninsulaires n’existait plus que dans les incohérentes compilations des jurisconsultes, tous dévoués ou soumis au pouvoir royal. La seule chance que l’on coure en démolissant des ruines, c’est d’être écrasé sous leur masse, et ce danger n’existait plus en Espagne pour la dynastie nouvelle, car les pierres y jonchaient le sol, et les ruines mêmes avaient péri. Les doctrines du temps firent invasion par deux directions à la fois : une philosophie anti-religieuse y pénétra du même pied qu’un système administratif unitaire et centraliste. Nous n’avons pas à exposer ici pourquoi ces deux ordres d’idées se sont simultanément produits en Europe, ce qu’il serait facile de faire en repoussant la conclusion qu’on en tire trop souvent, quant à leur prétendue connexité nécessaire ; il suffit de constater un fait que mettent hors de doute les mesures combinées par le ministère espagnol sous le règne de Charles III. Pendant que ce prince chassait les jésuites, réprimait l’inquisition et contenait l’influence de Rome, il ouvrait des routes et des canaux, fondait des manufactures, des associations industrielles et savantes, et le chiffre de la population, combiné avec celui de la production, s’élevait dans une progression qui dépasse tous les calculs.

Les universités recevaient alors du pouvoir ministériel une impulsion qu’elles imprimaient à leur tour à la noblesse et au clergé. Le poète Valdez-Melendez, destiné à mourir exilé sur la terre d’où il avait reçu ses inspirations[2], introduisait la philosophie de l’époque dans son cours de belles-lettres à Salamanque. Les œuvres du savant bénédictin Feijoo propageaient des doctrines économiques qui trouvèrent bientôt dans Jovellanos et Cabarrus d’éloquens et habiles interprètes.

  1. Voyez notre article sur l’ouvrage de M. Mignet, no  du 15 juillet 1836.
  2. Nommé par Joseph directeur-général de l’instruction publique, Melendez mourut à Montpellier en 1817.