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Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 8.djvu/156

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et non le général Jackson, qui avons mission de faire respecter le nom de la France. Le gouvernement français s’est refusé à faire de ce débat une affaire de dignité nationale ; il n’a voulu y voir qu’une question de justice. Les ministres du roi ont tenu à faire honneur à la signature royale ; mais il n’était pas difficile de tout concilier. J’insiste ainsi sur cet incident de la vie du général, au risque de paraître avoir le désir de ranimer une querelle éteinte, heureusement pour toujours, entre la France et l’un de ses plus anciens alliés, parce qu’il m’est impossible de ne pas exprimer ce que j’ai senti vivement alors, et qui a douloureusement affecté tous les Français, qui, comme moi, étaient séparés de la France. Celui qui vit loin de sa patrie a besoin de la savoir puissante et considérée. Le succès de la politique extérieure du général Jackson a rehaussé sa popularité, et a prodigieusement amoindri, dans l’esprit de la démocratie, les puissances d’Europe. Quand on a vu arriver successivement l’or de Naples, de l’Espagne, de la France, du Danemarck, et je ne sais plus de quelles autres puissances encore, nous n’avons plus été, dans l’opinion de la masse américaine, que des payeurs de tributs, comme le sont, aux yeux de la populace chinoise, tous les ambassadeurs qui se rendent à Pékin ; et le général Jackson a été le vainqueur des vainqueurs de la terre.

Si, sur les champs de bataille et dans la politique extérieure, la carrière du général Jackson a été brillante ; s’il a attaché son nom à de grandes mesures administratives, il l’a aussi inséparablement lié à une funeste métamorphose dans les sentimens et les usages politiques du pays. Un secret instinct avertissait les Américains que leur liberté serait compromise du jour où un chef militaire serait sur le fauteuil présidentiel ; aussi s’étaient-ils fait une règle de n’élever jamais de soldat à la suprême magistrature. Washington n’était pas un soldat, ce qu’ils appellent un chieftain ; les vertus civiles effaçaient en lui les qualités guerrières. Le général Jackson est le type du chef de partisans ; c’est la guerre incarnée : il a été toute sa vie guerroyant. Les maux qu’on attribuait d’avance à la venue d’un chef militaire, n’ont pas manqué, en effet, de visiter l’Union. Le respect de la loi, ce palladium des républiques, a disparu. Autrefois la loi régnait dans le pays sans partage ; on aimait cette abstraction qui se nomme loi ; on se serait dévoué pour elle. La loi était tout, les hommes rien.