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REVUE DES DEUX MONDES.


Il est un fleuve saint où navigue le cygne,
Où l’amandier en fleurs se marie à la vigne,
Où l’Ondine en son île attire le pêcheur.
L’ambre croît sur la rive ; et dans les cathédrales
Les anges ont ployé leurs ailes colossales,
Ainsi que la cigogne au toit du laboureur.

Quand l’année achevée a fané sa couronne,
Et que le cœur se plaint aux brises de l’automne,
Dans la cuve du Rhin fermente un vin doré.
Nains ! barbouillez de lie en vos coupes de pierre
Vos tudesques blasons ! dans sa niche de lierre,
Chancelle des vieux temps le fantôme enivré.

Les femmes sont les sœurs des fleurs de la vallée.
De l’éternel amour la colombe volée
Boit au bord de leur bouche et s’endort sur leur cœur.
Leur front pâle est baissé ; blonde est leur chevelure ;
Et comme un vieux guerrier que berce leur murmure,
Le fleuve à leurs fuseaux suspend son flot rêveur.

Comme le bruit du vent dans les feuilles d’automne,
Leur parler étranger dont l’oreille s’étonne,
Par degrés vous émeut d’un son plaintif et lent.
Au fond de tous leurs mots qu’un soupir entrecoupe,
Comme une perle au fond d’une sonore coupe,
Amour, amour, amour, retentit en tremblant.

Mais ce fleuve profond où navigue le cygne,
Cette vallée en fleurs que parfume la vigne,
Ces bois, cette prairie et ces bords sont à nous.
Ils sont à nous, amis, par le sang de nos pères,
Par la borne d’airain arrachée aux frontières,
Par le mot du serment de vingt rois à genoux.

Oui, ces monts sont à nous, notre ombre les domine ;
Oui, ces fleurs sont à nous, nous en gardons l’épine ;
Oui, ces champs sont à nous, nos morts y sont couchés.