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tant d’un côté le règne de l’oligarchie islandaise, de l’autre la fin de la république, la réunion de l’Islande à la Norwége. La Nial saga est la plus curieuse de toutes, sous le rapport des mœurs, des caractères, des évènemens qui y sont racontés, et de la législation.

Quelques autres sagas sont des récits tout poétiques, assez vrais encore, et colorés avec art, revêtus d’images riantes, entremêlés de détails romanesques. Je citerai par exemple la Kormak, l’Egil, la Gunnlaugi et la Frithiofs saga, qui a fourni à Tegner[1] le sujet d’un charmant poème.

Enfin, il est d’autres sagas qui joignent à un caractère évident d’authenticité des noms controuvés et des faits imaginaires ou exagérés. Elles furent écrites par quelques hommes qui aspiraient à composer une œuvre à effet plutôt qu’une œuvre vraiment louable et digne de foi. Et cependant ne les blâmons pas trop : les pauvres conteurs de sagas n’avaient souvent pour toute récompense que l’émotion produite par leur récit et le sourire approbateur de ceux qui les écoutaient. Pour ébranler leur auditoire, ils ne citaient que les faits les plus dramatiques, et ajoutaient à la gloire du héros et au résultat sanglant des combats. Pauvre naïve ambition ! Ces historiens voyageurs, assis à la table du jarl, quand toute une famille réunie autour d’eux les suivait avec attention, quand un vieux guerrier applaudissait à leurs paroles, ils se croyaient peut-être de grands hommes ; et pas un antiquaire n’a pu encore nous révéler leur nom.

Vers le xve siècle, il se fit en Islande une espèce de révolution littéraire. Les écrivains abandonnèrent l’idée nationale qui les avait guidés jusque-là et se mirent à traduire les romans de chevalerie étrangers. On transporta dans le boer, on récita à la veillée les aventures de Charlemagne et celles des chevaliers de la Table-Ronde, la chronique merveilleuse de Fortunatus et celle de l’empereur Octavien. L’auditoire islandais accueillit avec empressement ces nouveaux contes, et ceux qui s’étaient émus au récit des grandes batailles de Gunnar ou des souffrances d’Ingeborg, écoutèrent avec la même émotion l’histoire du valeureux Roland et celle de la belle Yseult. Il résulta de cette branche de littérature exotique une nouvelle espèce de sagas, une suite de contes singuliers, où quelques noms de héros islandais, quelques faits réels, disparurent dans un amas de noms étrangers et de faits imaginaires. Ici le héros s’appelle Marsebille, Azius ou Estroval : il est tendre et galant ; il ne se bat plus avec la hache sur mer, comme dans le temps ancien ; il joûte contre les chevaliers. Les évènemens se passent encore en Islande ; mais souvent

  1. Tegner, évêque de Wexico en Suède, né dans la province de Wermland en 1782, auteur de plusieurs poèmes qui tous ont eu un grand succès. — Voyez la Revue des Deux Mondes, tome ier, seconde série.