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DE LA PROPRIÉTÉ EN FRANCE.

peuple propriétaire, elle ne l’a pas rendu plus misérable. Il est aujourd’hui mieux nourri, mieux vêtu, mieux logé qu’il ne l’était il y a cinquante ans. Quelque jugement que l’on porte sur les conséquences économiques de cette diffusion, il faut reconnaître encore qu’elle a contribué à élever la moralité de la nation ; car l’homme s’ennoblit en réalité par la possession du sol.

La période révolutionnaire n’a pas été autre chose que l’invasion, la conquête et le partage du territoire entre les conquérans. Le tiers-état a fait main basse sur les biens du clergé, de la noblesse ainsi que des corporations. Les propriétés frappées de main-morte ou grevées de substitutions sont rentrées dans le commerce, où elles ont versé un capital de plus de deux milliards de francs. Toutefois le morcellement, commencé en 1792 et 93, ne s’est accompli et n’est arrivé à son terme que quarante ans plus tard, sous la restauration. Quand on vendit les biens des émigrés, il parut suffisant de les diviser en quatre cent cinquante-deux mille lots, qui représentaient une valeur moyenne de 3,000 fr. chacun. Ces lots, depuis, sont tombés en poussière, et forment peut-être quatre ou cinq millions de parcelles maintenant.

Les dispositions du Code civil sur les testamens, dont on s’est fort exagéré les résultats, ont agi plutôt comme un obstacle à la concentration que comme un instrument de division. Le code consacre, il est vrai, l’égalité des partages, en réduisant la portion disponible au quart des biens de la succession, lorsque le testateur a des enfans ; mais ce partage égal a peu d’inconvéniens dans un pays où les classes qui possèdent pratiquent communément la contrainte morale recommandée par Malthus, et où les familles ne sont nombreuses que par exception.

Si le morcellement de la propriété en France était l’œuvre des institutions, il devait suffire d’imprimer à la loi une tendance contraire pour arrêter les progrès du démembrement. On l’a tenté vainement. Napoléon avait créé des majorats, Charles X rétablit les substitutions ; et tout cela fut balayé avant d’avoir laissé la moindre trace dans les mœurs de la nation.

La grande propriété a été reconstituée en partie par les largesses du pouvoir. Sous l’empire et au premier retour des Bourbons, les émigrés rentrèrent dans la possession de tous les biens mis sous séquestre qui n’avaient pas encore été aliénés. La loi de