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avec prédilection, parfois avec bonheur, parfois aussi un peu à contresens : son style est une imitation élégante et ambitieuse de la phrase et du ton de Montesquieu ; mais toujours l’ouvrage se fait lire avec plaisir ; il provoque la pensée, il peut même la féconder par les contradictions que doit lui opposer le lecteur, et l’on ne saurait refuser à l’écrivain cette louange qu’il paraît surtout rechercher, d’avoir écrit avec indépendance et dignité.

Ce qui sépare les anciennes traditions de la politique nouvelle, c’est précisément l’intervention d’intérêts moraux dont les révolutions ont annoncé l’avènement et assuré le triomphe. La pensée est venue faire cause commune avec la politique positive, la guider, la transformer et l’agrandir. Il importe ici de s’expliquer nettement et de tomber d’aplomb sur la réalité même.

Quand, à la fin du siècle dernier, la France dut résister à toute l’Europe, elle eut nécessairement l’instinct de lui opposer ses principes, et de lui lancer, au milieu de ses bombes, ses passions et ses idées. En développant sur tous les points une propagande armée, la France pourvoyait non-seulement à sa vengeance, mais à sa sûreté ; en faisant adopter ses principes aux peuples, non-seulement elle satisfaisait sa fierté, et, pour ainsi parler, son amour-propre d’auteur, mais elle facilitait la victoire, gagnait des alliés, reculait ses frontières, et devait à la contagion de l’enthousiasme de notables profits.

Ce qui était alors naturel et utile, ne le serait plus aujourd’hui : depuis cinquante ans les principes de la révolution française sont disséminés et connus ; beaucoup de peuples les ont adoptés et cherchent à les exprimer suivant la convenance de leurs mœurs et de leur nationalité ; une moitié de l’Europe est convertie à la liberté constitutionnelle.

D’un côté, la France a déjà fait passer dans sa constitution une partie des principes nouveaux ; de l’autre, l’Europe, ou s’est empressée de l’imiter, ou est obligée de l’accepter. Il n’y a plus d’intérêt à une propagande ardente et altière ; mais il y a place pour les sympathies et les affinités morales.

La France est naturellement l’amie des peuples et des gouvernemens dont les lois se rapprochent des siennes ; mais elle n’est pas nécessairement l’ennemie des nations soumises au pouvoir absolu elle ne se chargera pas de professer le régime démocratique à