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Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 8.djvu/375

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REVUE. — CHRONIQUE.

velles cortès étaient composées d’hommes plus exaltés qu’habiles ; si des exagérations déclamatoires et violentes prenaient la place d’un patriotisme clairvoyant et modéré dans son énergie, il y aurait à redouter pour l’Espagne une longue série de convulsions stériles et sanglantes. Au premier aspect, les cortès paraissent divisées en trois partis : les exaltés, qui ne veulent pas se contenter même de la constitution de 1812, ne la trouvant pas assez démocratique ; les hommes qui portent au contraire à la constitution de 1812 un culte assez fanatique pour la vouloir sans modification, et sans la régence de la reine (la régence, aux termes de la constitution de 1812, devant être composée de trois ou cinq personnes) ; les constitutionnels modérés, qui veulent la constitution de 1812 modifiée, avec deux chambres et la régence de la reine. Le nouveau président des cortès, Becerra, était ministre de la justice dans la première administration de M. Mendizabal ; à cette époque, il avait d’intimes liaisons avec Calatrava, qui figurait alors dans les rangs de l’opposition, et qui dut à cette amitié une grande influence et la connaissance du véritable terrain politique. Le ministère doit s’estimer heureux d’avoir porté à la présidence Becerra, qui pourra offrir à Calatrava et au cabinet dont celui-ci est le chef un appui éclairé, et en recevoir à son tour la même force qu’il lui prêta jadis.

Les choses ne marchent pas en Espagne aussi vite que le désirerait l’impatience publique. Les absolutistes de l’Europe voudraient voir l’entrée de don Carlos à Madrid, les pays constitutionnels sa défaite définitive ; mais dans la Péninsule, les situations sont trop confuses, les forces respectives des partis trop balancées pour aboutir à un dénouement rapide et simple, comme dans une tragédie classique. D’ailleurs la France, en abandonnant l’Espagne à elle-même, n’a pas peu contribué à compliquer encore l’imbroglio. On a eu deux motifs pour cesser toute participation aux affaires espagnoles : le désir de plaire aux puissances du Nord, notamment à la Russie ; puis la crainte de se trouver engagé plus avant qu’on ne voudrait, et d’entrer dans une situation qu’on ne pourrait plus ni limiter, ni maîtriser à son gré. L’avenir, et peut-être un avenir prochain, nous dira jusqu’à quel point les monarchies absolues seront reconnaissantes envers le gouvernement français pour son exacte neutralité, jusqu’à quel point cette conduite si débonnaire aura désarmé les mauvais vouloirs. Quant aux difficultés fort sérieuses que rencontrerait en Espagne une coopération ouverte de notre part, nous n’avons jamais songé à les nier ; peut-être même peut-il se rencontrer telles circonstances qui la rendraient, dans un moment donné, inutile pour l’Espagne, ruineuse pour la France ; mais nous disons que, dans le passé, on a manqué des occasions favorables, et que dans l’avenir, on se retrouvera face à face avec des nécessités qui contraindront la France d’agir.