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Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 8.djvu/401

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L’ESPAGNE AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.

doute, mais auxquels manquaient également et un centre où se rallier, et une force organisée pour s’appuyer, en attendant qu’ils se comptassent et crussent en eux-mêmes ? Où pouvaient enfin aboutir des projets mal liés qu’on n’osait avouer ni à la cour ni devant le peuple, et dont ceux-là même qui les avaient conçus se défendaient comme d’une injure ?

Il est dans les crises politiques des hommes qui discernent le but avant qu’il soit possible de l’atteindre, et dont le sort est d’être long-temps vaincus, quoique la victoire ne puisse se fixer que dans leurs mains. C’est que pour terminer une révolution, il ne suffit pas d’avoir triomphé des partis extrêmes ; il faut que ces partis aient acquis, par suite de longues déceptions, la conscience de leur défaite et de leur impuissance, et qu’ils en soient venus à désirer une transaction avec la même ardeur qu’ils désiraient la victoire. Or, cette situation des esprits était bien loin d’exister pour l’Espagne de 1822. L’absolutisme, battu en Navarre par Lopez Banos, et plus tard en Catalogne par Mina, se réorganisait au-delà des frontières, et comptait sur une guerre prochaine. Les exaltés se reposaient également sur elle du soin de livrer le gouvernement à leur merci et de remonter l’esprit national. Si les partis n’abdiquent que lorsqu’ils n’espèrent plus, on voit que l’instant n’était pas venu d’en obtenir des sacrifices. Il fallait que l’un et l’autre passassent encore au creuset de bien des misères avant que leurs débris vinssent se confondre dans ce parti moyen, qui finit toujours les révolutions, parce qu’il se tient, pour ainsi dire, en dehors d’elles, et qu’il résume tout ce qu’il y a de conciliable dans les prétentions opposées. Quoique l’Espagne gravitât visiblement dès-lors vers les formes et l’imitation françaises, parce que telle est sa destinée, l’opinion bicamériste n’y était pas encore distinctement formulée. Si les hommes les plus éclairés de l’école libérale lui appartenaient déjà, elle n’osait avouer ni ses chefs ni son symbole ; aussi se présenta-t-elle avec une certaine apparence d’intrigue qui lui ôta beaucoup de sa force et quelque chose de sa dignité. Cette opinion s’évanouit dans la fusillade du 7 juillet sans s’être trouvée en mesure d’arborer avec franchise son drapeau de conciliation.

Ici se présente le problème de cette étrange journée incomplètement éclairée par les révélations historiques, peut-être parce que tous les acteurs y tinrent une position fausse, peut-être aussi parce que les plus honorables d’entre eux, pour expliquer leur conduite, se seraient vus contraints de livrer aux mépris du monde un pouvoir alors protégé par la majesté du malheur. S’il est douteux que la révolte des gardes ait été préparée par les hommes qui croyaient les circonstances favorables à une modification de la constitution de 1812 dans le sens de la charte française, il est au moins certain que les chefs de ce parti, puissant alors, sinon