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VOYAGES D’UN SOLITAIRE.

connu assassiné là en plein jour. L’inscription est une prière au passant pour rechercher et dénoncer le meurtrier.

Du côté de Planchenoit, à l’endroit où se fit la première attaque de flanc des Prussiens, s’élève un petit monument noir, en fer, de forme gothique, avec ces mots en allemand

AUX HÉROS TOMBÉS LE ROI ET LA PATRIE RECONNAISSANTE. QU’ILS
REPOSENT EN PAIX ! BELLE-ALLIANCE, LE 18 JUIN 1815.

On trouve ainsi, dans cet horizon, des tombeaux d’Anglais, d’Hanovriens, de Belges, de Hollandais, de Prussiens, d’Écossais, d’Irlandais ; les Français seuls n’en ont pas, ou plutôt tout ce que vous voyez est leur tombeau.

Quand on fait aujourd’hui les marches du maréchal Grouchy, ces marches de deux lieues en un jour, on reconnaît un homme frappé de la fatalité antique, et qui, selon le mot d’un ennemi, s’arrêtait à chaque pas pour attendre l’avenir.

Qui croirait que l’empire du monde dépende quelquefois d’une circonstance telle que la pluie ou le beau temps ? Rien pourtant n’est plus vrai. Imaginez qu’au lieu de pleuvoir, il eût fait un rayon de soleil le 18 juin 1815 ; la bataille eût commencé avec le jour ; de l’aveu de tous les hommes de guerre, elle eût été gagnée à deux heures après midi. Au contraire, voilà un nuage qui passe et se résout en pluie, un sol qui s’effondre, des roues qui s’embourbent, une matinée perdue, c’est-à-dire un empereur qui s’en va mourir par-delà l’équateur, et la ruine d’une nation, sans cela invincible.

Il reste encore un des hommes qui servirent de guides à Napoléon pendant la journée et la retraite. Cet homme se rappelle chaque place où l’empereur a passé. Il cultive ces vestiges. C’est là sa religion et son univers, car il n’en fait pas métier. Hors de là, il n’a rien vu, il ne sait rien, il ne se souvient de rien. Quand on me le montra, il battait son blé dans une grange de Maison-le-Roi. Il y avait justement quinze ans que son compagnon de moisson avait rentré sa lourde gerbe à Sainte-Hélène.

La tradition des quatre stations principales de l’empereur pendant la journée du 18 s’est très exactement conservée ; elles marquent bien l’ordonnance et les péripéties de la bataille. On voudrait