Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 8.djvu/412

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
408
REVUE DES DEUX MONDES.

joie et s’asseoir en silence à mon festin. Tu les as laissés monter en croupe sur mon cheval ailé, et lutter corps à corps avec moi jusqu’à ce qu’ils m’eussent précipité sur la terre des réalités et des souvenirs. N’importe ! sois béni, esprit de folie qui es à la fois le bon et le mauvais ange, souvent ironique et amer, le plus souvent sympathique et généreux ! Prends tes voiles bariolés, ô ma chère fantaisie, déploie tes ailes aux mille couleurs, emporte-moi sur ces chemins battus de tous que ma faiblesse m’empêche de quitter, mais où mes pieds n’enfoncent pas dans le sol, grâce à toi ! garde-moi dans l’humble sentiment de mon néant, dans la philosophique acceptation de ce néant si doux et si commode, qui s’ennoblit quelquefois par la victoire remportée sur de vaines aspirations… Ô gaieté ! toi qui ne peux être vraie sans le repos de la conscience, et durable sans l’habitude de la force, toi qui ne fus point l’apanage de mes belles années et qui m’abandonnas dans celles de ma virilité, viens comme un vent d’automne te jouer sur mes cheveux blanchissans, et sécher sur ma joue les dernières larmes de ma jeunesse.

Et toi, mon cher vieux ami, prête-toi aux caprices de mon babil, et à l’absurdité de mes observations. Tu sais que je ne vais pas étudier les merveilles de la nature, car je n’ai pas le bonheur de les comprendre assez bien pour les regarder autrement qu’en cachette. Le désir de revoir des amis précieux et le besoin de locomotion m’entraînèrent seuls cette fois vers la patrie que tu as abandonnée. Il te sera peut-être doux d’en entendre parler, si peu et si mal que ce soit. Il est des lieux dont le nom seul rappelle des scènes enchantées, des souvenirs inénarrables. Puissé-je, en te les faisant traverser avec moi, éclaircir un instant ton front et soulever le fardeau des nobles ennuis qui le pâlissent !


Autun, 2 septembre.

À Dieu ne plaise que je médise du vin ! Généreux sang de la grappe, frère de celui qui coule dans les veines de l’homme ! que de nobles inspirations tu as ranimées dans les esprits défaillans ! que de brûlans éclairs de jeunesse tu as rallumés dans les cœurs éteints ! Noble suc de la terre, inépuisable et patient comme elle, ouvrant comme elle les sources fécondes d’une sève toujours jeune