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AFFAIRES DE ROME.

barrasse jamais dans les ombrages de la vanité ni dans les réticences de l’égoïsme : il n’a jamais sacrifié une idée ni un sentiment à un intérêt. Il y a, en un mot, dans les débris du La Mennais chrétien, de quoi faire encore le plus vertueux, le plus fervent, le plus désintéressé des glorieux modernes, de même qu’il y a, dans les ruines de son autorité vraie, de quoi faire une popularité immense.

Le talent, ce don, cet instrument un peu particulier et qui ne suit pas nécessairement la loi de la vérité intérieure, a gagné chez M. de La Mennais, en souplesse, en variété, en grace et en coloris, sans perdre en force, à mesure que sa rigueur de foi a été davantage ébranlée. Nous en signalerons bientôt plus d’une trace, véritablement charmante, dans l’écrit dont nous avons à parler. Le météore est souvent plus riche et plus plaisant aux regards que l’astre.

Dès les premières lignes du livre, M. de La Mennais remarque que « le temps fuit de nos jours avec une telle rapidité, qu’en quelques années l’on voit s’accomplir ce qui jadis eût été l’œuvre d’un siècle ou même de plusieurs. » Cette idée sur la rapidité du temps et la multiplicité de ce qui s’y passe, qui est juste et même banale à un certain degré, devient propre à M. de La Mennais par la singulière préoccupation qu’elle a toujours formée dans son esprit. Dès ses premiers ouvrages, on le voit toujours en hâte au début et comme craignant d’arriver trop tard. J’ouvre les mélanges de 1825 : « On ne lit plus…, on n’en a plus le temps… Cette accélération de mouvement qui ne permet de rien enchaîner, de rien méditer ; suffirait seule pour affaiblir, et, à la longue, pour détruire entièrement la raison humaine. » Et en tête du livre de la Religion considérée dans ses rapports, etc. (1826) : « On ne lit plus aujourd’hui les longs ouvrages ; ils fatiguent, ils ennuient ; l’esprit humain est las de lui-même, et le loisir manque aussi… Dans le mouvement rapide qui emporte le monde, on n’écoute qu’en marchant… » On peut observer en règle générale que, de même que les livres de M. de La Mennais commencent tous par une parole empressée sur la vitesse des choses et la hâte qu’il faut y mettre, ils finissent tous également par une espèce de prophétie absolue. Cette pensée ardente ne mesure pas le temps à la manière des autres hommes ; elle a son rhythme presque fébrile : l’horloge intérieure, qui dans cette tête n’obéit qu’à la mécanique rationnelle, n’est pas