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Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 8.djvu/508

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pour les hommes ; et cet embarras se montra dans deux articles, où, tout en louant M. Victor Hugo, je déclarais la poésie impossible, et la montrais mourante entre les mains les plus poétiques de l’époque. Peu à peu je me retirai des hommes, afin de mettre ma conduite en harmonie avec mes nouvelles croyances, qui sont les vieilles croyances, et de ne pas en abaisser la majesté devant les exigences d’amour-propre et l’insatiable besoin de flatterie, qui sont le trait distinctif des chefs d’école, non-seulement de ce temps-ci, mais de tous les temps. Rendu à moi-même, je défis ce que j’avais fait. Je pris le dégoût du neuf qui n’est pas le vieux senti et pensé de nouveau par un esprit sain, de la couleur qu’on broie sur des mots sans idées, et des images qu’on a sans imagination ; je lus les grands écrivains, et je vis que tout leur secret, au lieu d’être un mystère entre eux et leur muse, était d’avoir sur un sujet assez d’idées et de convictions pour en être émus jusqu’au fond de leur être, et pour sentir le besoin de les répandre au dehors ; que ce qui les rend si naturels est que leur pensée a été trop abondante et trop pressée de sortir pour supporter les lenteurs et les puérilités de la recherche du style, et que ce qu’ils travaillaient surtout, c’était la pensée, s’abandonnant à l’émotion intérieure pour tout ce qui est d’ornement dans le style, pour toutes ces richesses d’exécution, qui ne sont que misères, séparées de la pensée. Appliquant ces idées à ma propre conduite, je sentis que, puisque j’avais osé prendre la plume et me donner pour écrivain, malheureusement plus par cette vocation vague que se sentent tous les jeunes gens dans un pays où la presse est libre qu’avec des forces réelles et un but sérieux, je devais acquérir sur un point, si humble qu’il fût, assez d’idées et de convictions pour en écrire avec quelque autorité, et pour qu’on reconnût que j’avais pris la plume, non du droit supérieur et individuel que s’attribue l’école nouvelle, mais parce qu’il y avait lieu et convenance à le faire. Or, cette inspiration de bon sens dont je me suis vanté plus haut, des jours de plus sur la tête, un peu plus de cette expérience de la vie qui fait comprendre les grands écrivains, lesquels ne sont que de grands peintres ou de grands historiens de la vie, deux ou trois de ces évènemens domestiques qui mûrissent l’homme rapidement en développant son cœur, m’avaient ramené naturellement à l’admiration des chefs-d’œuvre de notre langue, et à l’intelligence de la tradition dans les choses de littérature. Ce fut là le point où je me concentrai, où je m’enfermai, comme dans une solitude féconde, où j’amassai des réflexions et des pensées ; il était modeste, il était proportionné à mes forces, puisque je m’y suis assez distinctement établi pour que M. Sainte-Beuve ait bien voulu y voir un rôle habilement choisi et bien rempli. Ce n’était pourtant que l’humble rôle d’un admirateur du passé défendant les grandes traditions littéraires, à côté d’autres hommes qui défendent