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CONTEMPLATION.

fait frémir maintenant à l’aspect des lieux qui retracent les antiques bouleversemens du globe. Cet amour de l’ordre, qui s’est révélé à moi depuis que j’ai quitté le monde, proscrit les joies que j’éprouvais jadis à entendre gronder le volcan, à voir rouler l’avalanche. Quand je me sentais faible par ma souffrance, je ne cherchais dans les attributs de Dieu que la colère et la force. À présent que je suis apaisée, je comprends que la force est dans le calme et la douceur. Ô bonté incréée ! je te bénis dans le moindre sillon vert que ton regard féconde ! je m’identifie à cette terre où ton grain fructifie ! je comprends ton infatigable mansuétude ! Ô terre, fille du ciel ! ton père t’a enseigné la clémence, tu ne te dessèches point sous les pas de l’impie, tu te laisses posséder par le riche, et tu attends avec sécurité le jour qui te rendra à tous tes enfans ! Sans doute alors tu te pareras d’attraits nouveaux ; plus riante et plus généreuse, tu réaliseras peut-être les rêves poétiques annoncés par les sectes nouvelles, et qui montent comme des parfums mystérieux sur cet âge de doute, de hautaines négations et de tendres espérances.

Ravie dans la contemplation de cette nuit sublime, j’en suivis le cours, le déclin et la fin. À minuit, la lune s’était couchée. La retraite me devenait impossible ; privée de son flambeau, je ne pouvais plus me guider dans ce labyrinthe de débris, et quoique le ciel fût étincelant d’étoiles, les profondeurs du cratère étaient ensevelies dans les ténèbres. J’attendis qu’une faible lueur vînt blanchir l’horizon. Mais quand elle parut, la terre devint si belle, que je ne pus m’arracher au spectacle que chaque instant variait et embellissait sous mes yeux.

À ma droite, les pâles étoiles du Scorpion se plongèrent une à une dans la mer. Nymphes sublimes, inséparables sœurs, elles semblaient s’enlacer l’une à l’autre et s’entraîner en s’invitant aux chastes voluptés du bain. Les soleils innombrables semés dans l’éther devinrent alors plus rares et plus brillans ; le jour ne se montrait pas encore, et cependant le firmament avait pris une teinte plus blanche, comme si un voile d’argent se fût étendu sur l’azur profond de son sein. L’air fraîchissait, et les astres semblaient ranimés par cette brise, comme des flambeaux dont le vent agite la flamme avant de les éteindre. L’étoile de la chèvre monta rouge et brillante à ma gauche, au-dessus des grandes forêts, et la voie