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pouvoir analyser un livre, il est bon de l’avoir lu, et l’on apprend à lire en épelant. C’est l’honneur de M. Burnouf d’avoir eu le courage de commencer par le commencement. Il faut ouvrir la porte avant d’entrer dans le temple : ceux qui veulent faire autrement se brisent la cervelle contre les murs.

Voyez à quoi l’on s’expose en allant trop vite. Un écrivain allemand estimable, M. Rhode, crut pouvoir présenter un tableau complet de la religion de Zoroastre. Un passage du Vendidad-Sadé dit qu’Ormusd a créé dans le temps incréé, Zervane Akerane ; le mot comme l’indique la terminaison e, est au locatif, cas qui marque la relation de lieu. M. Rhode, ne tenant point compte de cette particularité grammaticale qu’il ignorait, a fait de cette circonstance de la création le principe et l’auteur même de la création. Zervane Akerane, le temps incréé, est devenu pour lui le sujet de la phrase, un être antérieur et supérieur à Ormusd et à Ahrimane. Ainsi le dualisme célèbre de la doctrine de Zoroastre serait subordonné à une unité supérieure. On voit que ce serait un changement fondamental. Mais tout cela repose sur une erreur de cas, sur un mot mal décliné. Et l’existence absolue du Dieu suprême, père du bon et du mauvais principe, est grandement mise en péril par le paradigme de la déclinaison zende. C’est bien plus que la grammaire qui sait régenter jusqu’aux rois… car il s’agit ici du principe même de l’univers. Ailleurs, M. Burnouf apprend à ne pas trop se hâter de prononcer sur un point de dogme, qui pourrait frapper par une analogie avec le dogme chrétien. Ainsi, suivant Anquetil-Duperron, l’idée toute chrétienne de la résurrection de la chair se trouve chez Zoroastre ; la chose paraît douteuse. Ce qu’il y a de sûr, c’est que le mot qu’Anquetil a traduit ainsi, analysé par M. Burnouf, veut dire question. Il peut sembler téméraire de prétendre mieux pénétrer le sens de Zoroastre que les Parsis eux-mêmes. Pourtant, dans plusieurs passages, M. Burnouf fait très bien voir qu’un sens grossièrement littéral et matériel a remplacé le sens véritable dans la version de Nerioseng, et vraisemblablement l’avait déjà remplacé dans la version pelvie sur laquelle celle-là semble calquée. D’autres fois, ce sont des êtres abstraits dont les traducteurs parses font des êtres réels.

Au reste, ces deux tendances, l’une à matérialiser les idées, l’autre à les personnifier, sont dans la nature de l’esprit humain et