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leurs, nul n’y contredit, mais il serait à désirer qu’ils s’expliquassent plus clairement. On a remarqué, dans leurs phrases favorites, le mot de perfectibilité ; il semble un des plus forts symptômes d’un degré modéré d’enthousiasme ; c’est donc sur ce mot, et sur ce mot seul, que nous vous demandons la permission de les interroger poliment, ainsi qu’il suit. Simple question :

Messieurs (et mesdames) de l’avenir et de l’humanitairerie, qu’entendez-vous par ces paroles ? Entendez-vous que, dans les temps futurs, on perfectionnera les moyens matériels du bien-être de tous, tels que charrues, pains mollets, fiacres, lits de plume, fritures, etc. ? ou entendez-vous que l’objet du perfectionnement sera l’homme lui-même ?

Vous voyez, monsieur, que notre demande est d’une lucidité parfaite, ce qui est déjà un avantage ; mais nous ne voulons point nous enfler. S’agit-il, disons-nous, parmi les adeptes de la foi nouvelle, de perfectionner les choses, ou de perfectionner les gens ? Vous sentez que le cas est grave ; c’est à savoir si on me propose de m’améliorer mon habit, ou de m’améliorer mon tailleur. Hìc jacet lepus ; tout est là. Nous ne nous inquiétons de rien autre. Car vous comprenez encore, sans nul doute, que si on ne veut que m’améliorer mon habit, je ne saurais me plaindre sans injustice ; tandis que si on veut décidément m’améliorer mon tailleur, ce sera peut-être une raison pour qu’on me détériore mon habit, et par conséquent… quod erat demonstrandum, comme dit Spinosa. Ne croyez pas que ce soit par égoïsme ; mais nous tenons à être éclaircis.

Perfectionner les choses n’est pas nouveau ; rien n’est plus vieux, tout au contraire, mais aussi rien n’est plus permis, loisible, honnête et salutaire ; quand on ne perfectionnerait que les allumettes, c’est rendre service au monde entier, car les briquets s’éteignent sans cesse. Mais s’attaquer aux gens en personne et s’en venir les perfectionner, oh, oh ! l’affaire est sérieuse, je ne sais trop qui s’y prêterait, mais ce ne serait pas dans ce pays-ci. Perfectionner un homme, d’autorité, par force majeure et arrêt de la cour, c’est une entreprise neuve de tout point ; Lycurgue et Solon sont ici fort en arrière ; mais croyez-vous qu’on réussira ? Il y aurait de quoi prendre la poste, et se sauver en Sibérie. Car j’imagine que ce doit être une rude torture inquisitoriale que ces