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On aurait parfaitement conçu le despotismo illustrado sous le règne de Charles IV, si l’empereur Napoléon, comprenant alors sa mission envers l’Espagne, fût intervenu entre le roi et la nation, pour arracher un grand peuple à sa torpeur héréditaire. À cette époque les partis ne s’étaient pas encore classés dans la Péninsule ; la tribune et la presse, ces deux sens mystérieux des nations, ne lui avaient pas été révélées, et ceux qui aimaient déjà la liberté n’avaient pas encore souffert pour elle. On eût bien mieux compris encore le système inauguré par la célèbre circulaire de M. de Zéa[1], sous un roi jeune d’intelligence et d’années, monté au trône en vertu d’un titre incontesté, et dans le silence des factions ; le malheur de l’Espagne fut sans doute d’échapper en temps utile à cette bienfaisante tutelle. Mais en 1833, au moment où la mort de Ferdinand posait en principe les droits incertains de sa fille, on était en face d’un parti puissant, dont le chef, alors réfugié en Portugal, déclarait vouloir s’en remettre de ses droits à Dieu et au courage des siens. Dans une telle situation des esprits et des choses, quand la Navarre était déjà soulevée par Santos-Ladron, que Mérino put disposer un instant de vingt mille volontaires en Castille, alors que la révolte n’était contenue dans les provinces que par le dévouement des capitaines-généraux, et l’hésitation de don Carlos à se mettre à la tête des rebelles ; dans un moment où il fallait incorporer en masse, dans l’armée, tous les officiers impurifiés depuis 1823, et accepter les services de Jauregui, qui frayait la route à Mina ; comment, avec quelque sens politique, oser conseiller à la régente de se poser seule devant l’opinion libérale ? comment lui mettre à la bouche des paroles qui peuvent se traduire ainsi :

J’amnistierai vos hommes parce qu’ils me sont indispensables, mais je flétrirai toutes vos doctrines ; je ne repousserai pas seulement la faction démagogique, qui, par sa violence, a perdu la liberté, et dont l’Espagne a horreur, j’envelopperai dans la même réprobation toutes les nuances de l’opinion constitutionnelle, depuis Martinez de la Rosa jusqu’à Galiano ; en entrant dans la carrière des innovations administratives, je conserverai scrupuleusement toutes les vieilles formules pour faire illusion à l’Europe ; entourée d’hommes qui ne comprennent le gouvernement qu’avec une représentation nationale, je continuerai de m’appuyer sur la puissance absolue des rois d’Espagne, grossier mensonge historique, et d’invoquer le droit divin auquel le compétiteur de ma fille en appelle avec une foi plus énergique, parce qu’elle est plus sincère. N’est-ce pas là une insou-

  1. Circulaire du 5 décembre 1832 à tous les agens de sa majesté catholique près les cours étrangères, pour leur exposer les principes conservateurs du ministère formé par la régente.