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peintre. La femme d’Holbein, vêtue de noir, est assise dans une immobilité méditative ; ses yeux demi fermés, dont les pleurs ont rongé les cils, regardent devant eux sans pensée et sans espoir. Elle tient sur ses genoux un enfant dont le visage est gonflé par les larmes, tandis que plus bas un petit garçon de six ans regarde vers la porte avec une expression indicible d’attente, de prière et de souffrance retenue. Comme pour compléter l’effet de cette composition, le portrait d’Holbein lui-même se trouve vis-à-vis et semble contempler le groupe désolé d’un air de joyeuse insouciance.

À voir le soin religieux avec lequel tous les détails de cette étude déchirante ont été rendus, on se demande avec terreur si Holbein n’a pas trouvé un plaisir féroce à la faire, et si l’enthousiasme de l’artiste n’a pas réjoui le mari des pleurs de sa femme, le père de la faim de ses enfans ! Oui, Holbein ! si cette page poignante n’est pas l’expression d’un remords, c’est l’action la plus lâche de votre vie ! Plus on y trouve de beauté, plus on sent que l’on vous méprise et que l’on vous hait, car votre chef-d’œuvre est un crime.

La bibliothèque de Bâle possède aussi une Passion du même artiste, peinte sur bois dans les étroits compartimens d’un châssis doré. Les têtes de Juifs sont remarquables par leur vérité triviale ; mais le Christ est ignoble. L’ame d’Holbein n’était point assez élevée pour deviner la céleste figure du Rédempteur. Cette beauté d’une mort dévouée, cette tête rayonnante d’amour sous sa couronne d’épines, ce corps conservant encore l’empreinte de l’ame immortelle qui vient de le quitter, il n’a rien compris de tout cela. Le fils de Dieu, pour lui, c’est de la chair crucifiée et meurtrie. Cette grossièreté de conception se révèle surtout dans son Christ au linceul. Que l’on se figure un cadavre étendu sur un drap mortuaire dans une sorte de châsse vitrée : la barbe est hérissée et les cheveux sont raides de sang figé ; les clous qui ont percé les mains y ont laissé une rouille fétide ; les membres, maigres et noueux, se sont glacés dans la dernière convulsion ; les veines sont vides, les muscles crispés, la peau flasque, blafarde et gluante. Le modèle de cette affreuse composition fut, dit-on, un juif supplicié au Petit-Bâle, et dont Holbein obtint le corps. Il copia exactement toutes les meurtrissures, étudia les plaies, fit sourdre les vers de cette chair déjà pourrie, et quand son tableau lui parut assez fidèle pour que l’on crût sentir les émanations d’un cadavre, il s’imagina qu’il avait peint un Dieu au tombeau, et il écrivit au-dessous de ce corps fétide le grand nom du Christ.

Parmi plusieurs portraits, dus au même pinceau que la Passion, on remarque celui d’Érasme, dont la pose, quoique peu habituelle, semble choisie à dessein et appropriée au caractère du personnage. L’illustre