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Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 8.djvu/692

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fureur concentrée ; et portant alternativement ses regards sur notre caravane et sur les formidables cimes qui se dressaient à l’horizon, son œil semblait nous dire : Ah ! si je vous tenais là-bas !

Tels sont les hommes qui habitent le Riff. Il nous importe particulièrement de les connaître, car ils sont nos plus proches voisins, leur pays touche la frontière d’Alger. On conçoit qu’Abdel-Kader ou tout autre ennemi du nom chrétien recrutera toujours parmi eux des alliés fidèles et dévoués. On aura beau faire des représentations à l’empereur ; l’empereur n’y peut rien. À peine a-t-il assez de pouvoir sur ces peuplades rebelles pour leur arracher chaque année un maigre tribut ; comment parviendrait-il à contenir leur ardeur martiale et leurs inimitiés fanatiques ? On ne traite pas là une province comme on traite chez nous un département ; il ne suffit pas d’une circulaire ministérielle pour réduire au devoir ceux qui s’en sont une fois écartés ; ou bien l’obéissance est passive, absolue, l’abnégation complète, ou l’insubordination est ouverte, permanente, indomptable. Or, le sultan n’a pas pour la France une affection assez profonde, ni un assez grand intérêt à la prospérité de notre colonie, pour aller faire à notre profit la guerre à la portion la plus belliqueuse et la plus brave de ses sujets. On risquerait, en méconnaissant ces faits, de perdre un temps précieux en représentations vaines et en négociations plus vaines encore. En tout ce qui touche aux nouvelles possessions d’Afrique, il faut agir d’après cette donnée, la seule vraie, que les voisins sont aussi hostiles que le vaincu lui-même, qu’ils seront toujours disposés à embrasser sa querelle ; qu’ils se jetteraient sur nous au premier désastre sérieux, et qu’on ne les maintiendra dans leurs limites que par la terreur qui suit la victoire.

Le Riff est inaccessible du côté de la terre, et inabordable du côté de la mer ; de toutes parts, les montagnes l’environnent d’une ceinture de forteresses imprenables : ce sont ces inexpugnables remparts qui inspirent aux naturels leur mépris pour l’autorité, et leur sécurité dans la révolte. Leur amour de l’indépendance s’exalte dans l’isolement ; leurs farouches instincts s’y développent et s’y perpétuent. Allez parler à ces enfans de l’Atlas des bienfaits de la civilisation et des garanties de l’ordre social, ils ne vous comprendront pas ; et si vous essayez de plier au travail leur oisiveté séculaire et de les parquer en départemens, en communes, ils n’y