Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 8.djvu/694

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
690
REVUE DES DEUX MONDES.

nous, et allaient s’abattre lourdement au milieu des landes. Parfois un chameau passait et dessinait dans l’ombre les mouvemens désordonnés de son cou gigantesque. Livrés à l’instinct de nos montures, nous arrivâmes sans accident à la porte de la ville. Elle était fermée. Il nous fallut frapper long-temps pour nous faire entendre. Enfin un vieux portier, armé d’une lanterne, vint nous ouvrir. La cité était déserte comme la campagne et non moins silencieuse. Toutes les maisons étaient closes, pas une lumière ne perçait l’obscurité ; nous étions sept à huit cavaliers, et notre passage dans les rues à une pareille heure fit sensation. Peu s’en fallut que les bourgeois, réveillés en sursaut, ne crussent la place surprise et livrée au pillage par quelque tribu révoltée. Plus d’un avare trembla pour son coffre-fort, plus d’un jaloux pour son harem. À l’entrée du Millâ, nouvelle halte, nouvelle attente ; le peuple hébreu était depuis long-temps sous clé. Enfin les verrous se tirèrent, la porte roula pesamment sur ses gonds, la geôle s’ouvrit pour nous recevoir, et se referma sur nous.

Le lendemain était jour de marché : je le passai sur la place, à parcourir les groupes et à étudier les physionomies : c’étaient les mêmes divertissemens et les mêmes scènes qu’au sauk de Tanger, mais sur une plus grande échelle ; et le psylle, qui représentait là les sectateurs de Ben-Aïsa, était un petit nègre barbu qui dansait autour du feu tout en déchirant ses serpens. Le marché de Tétouan est très fréquenté ; c’est une galerie où l’on peut passer en revue les différentes races qui peuplent le Maroc. On en distingue quatre principales : les Berbères ou Amazirgues, les Scelloks, les Maures et les Arabes. Toutes les tribus de l’empire rentrent dans ces quatre grandes divisions.

Les Amazirgues, appelés à tort Berbères, sont les descendans directs des plus anciens habitans, non-seulement du Maroc, mais de toute l’Afrique septentrionale, du Nil à l’Océan : il paraît qu’ils ne sont autres que les antiques Numides ; et c’est d’eux que tirèrent leur origine les peuples primitifs de la Mauritanie, de la Nubie et de la Libye. Amazirgues est leur nom générique ; ils en prennent de particuliers, suivant les lieux qu’ils habitent ; ils se nomment Kabiles dans la régence d’Alger, Zouaves dans celle de Tunis, Adems dans l’état de Tripoli, Touates dans le grand désert. Les Amazirgues du Maroc sont répandus sur toute la région de