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à son corps défendant et malgré les réserves d’une modestie poussée à l’excès, s’est fait un nom dans l’église protestante, et occupe sans contredit le premier rang parmi les écrivains de la Suisse française. On doit à M. Vinet une Chrestomathie en trois volumes pleine de critiques ingénieuses ou profondes, un ouvrage sur la liberté des cultes couronné à Paris, et un volume de sermons dans lesquels l’élégance onctueuse de Fénelon se mêle heureusement à l’analyse tendre, fine et précise, de Massillon. Le caractère du talent de M. Vinet est la pureté ; non pas cette pureté fade et pâle qui ne paraît sans tache que parce qu’elle manque de couleur, mais la pureté de Racine, vive, colorée, transparente comme le ciel, cette pureté qui, dégageant la pensée de toute son écume, la pose devant l’esprit, vivante, délicate et achevée.

Les campagnes qui environnent Bâle sont belles, mais n’ont point de caractère particulier. Ce sont des paysages agrestes qui rappellent les vertes vallées de l’autre côté du Rhin, au pied de la Forêt-Noire. Cependant il est une plaine que l’étranger ne peut s’abstenir de visiter, non pour le site, mais pour les souvenirs historiques ; c’est la plaine de Saint-Jacques, où quinze cents Suisses attaquèrent, le 26 août 1444, les trente mille Armagnacs commandés par le dauphin, depuis Louis XI. Ils rencontrèrent d’abord, près du village de Prattelen, quatre mille ennemis qu’ils repoussèrent de la plaine dans les fortifications de Moutteng, des fortifications dans la vallée, et de la vallée dans la Birs où ils les noyèrent. Les Bâlois, qui avaient vu le combat du haut de leurs tours, sortirent de la ville au nombre de trois mille, et vinrent au-devant des confédérés, les conjurant d’entrer dans leurs murs pour prendre du repos. — Nous nous reposerons de l’autre côté, dirent-ils ; à la mort les braves ! — Et encore tout couverts de la sueur du premier combat, ils se jettent dans la Birs, la traversent à la nage sous le feu de l’ennemi, et abordent au milieu des vingt-six mille hommes qui les attendent. « Ils pénétrèrent, dit Zschokke, dans ces hordes innombrables semblables à des anges exterminateurs. » Séparés bientôt, ils continuèrent à lutter avec le même courage. Cinq cents étaient dans la plaine, les autres derrière un mur du jardin de l’hôpital Saint-Jacques. Ceux de la plaine se battirent jusqu’à ce qu’ils fussent tous tombés ; ceux qui étaient derrière le mur repoussèrent trois assauts et firent deux sorties. On mit le feu à la chapelle, puis à l’hôpital : resserrés entre une mer d’ennemis et une mer de feu, ils continuèrent à se battre sans vouloir recevoir merci. Enfin, le mur croula, et quand la poussière et la fumée se furent dissipées, on put voir tous les Suisses morts à leur poste, et aussi serrés sur la terre qu’ils l’avaient été pendant le combat.

Celui-ci avait duré dix heures ! Lorsqu’il eut cessé, et que les chefs purent relever leurs visières, ils parcoururent au petit pas de leurs cour-