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LE VŒU DE LOUIS XIII.

une vérité placée en dehors de toute controverse, que, depuis la mort prématurée de l’auteur des Loges, la peinture a toujours été dégénérant de plus en plus ? Nous ne croyons pas nous tromper en affirmant que tous les principes professés par M. Ingres se réduisent à deux mots : continuer Raphaël. M. Ingres, en effet, considère comme non avenues toutes les grandes écoles de Venise, de Madrid et d’Anvers, ou plutôt il les signale à ses élèves comme de véritables fléaux. Il traite le Véronèse, Murillo et Rubens, comme les amans passionnés de l’antiquité grecque traitent le moyen-âge. Toutes les transformations qui ont altéré la divine chasteté du pinceau de Raphaël ne sont, pour M. Ingres, que des accidens désastreux. Madrid et Anvers ont continué la débauche commencée par Venise. Les récompenses et les applaudissemens prodigués à ces écoles égarées ne peuvent effacer la tache imprimée à leurs fronts. Le Véronèse, Murillo et Rubens sont marqués du sceau de l’hérésie. Le rôle pris par M. Ingres est-il le rôle le plus sage ? Nous ne le pensons pas. Nous croyons sincèrement que, si Raphaël revenait parmi nous il ne recommencerait pas Raphaël. Puisqu’il est avéré que le divin auteur des Loges a profité des travaux exécutés par Michel-Ange dans la chapelle Sixtine ; puisque, sans accepter comme vraie l’intervention de Bramante, nous sommes forcés de reconnaître un changement de style dans Raphaël à l’époque précise où le Buonarroti achevait ses fresques prométhéennes, n’est-il pas naturel, n’est-il pas logique de voir dans cette transformation volontaire le germe et le gage de toutes les transformations que Raphaël se fût imposées, s’il eût vécu au dix-neuvième siècle au lieu de vivre au seizième ? Puisqu’il a su voir dans la Sixtine un enseignement, puisqu’il n’a pas dédaigné de recevoir une leçon du seul homme qui pût lutter avec lui, puisqu’il ne s’est pas enfermé dans la gloire qu’il avait conquise comme dans un cercle sacré, ne devons-nous pas croire qu’il aurait étudié les écoles de Venise, de Madrid et d’Anvers, comme il a étudié le peintre florentin ? Assurément, il n’y a rien de hasardé dans cette conclusion. Les prémisses une fois posées, et les prémisses sont fournies par l’histoire, le respect de Raphaël pour les monumens pittoresques de Venise, de Madrid et d’Anvers, se déduit avec une évidence irrésistible. Vainement objecterait-on que l’auteur de la Transfiguration et de l’École d’Athènes aurait été détourné de Murillo et de Rubens par l’amour de l’harmonie linéaire ; cet argument n’a de valeur que pour ceux qui ne vont pas au fond de l’histoire. L’homme le plus richement doué, le plus persévérant, ne peut embrasser d’un regard toutes les parties de l’art qu’il a choisi. Après Orcagna, Masaccio et le Pérugin, Raphaël devait tenter, devait poursuivre l’harmonie linéaire. Après l’école romaine, Venise et Madrid devaient chercher la couleur en vue de la couleur elle-même. Maîtresse de la ligne