Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 10.djvu/15

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
9
MAUPRAT.

âge guérir de l’ironie héréditaire ; la mienne n’a rien de féroce ; à parler sérieusement, je suis charmé de vous recevoir et de vous confier l’histoire de ma vie. Un homme aussi infortuné que je l’ai été mérite de trouver un historiographe fidèle, qui lave sa mémoire de tout reproche. Écoutez-moi donc et buvez du café.

Je lui en offris une tasse en silence ; il la refusa d’un geste et avec un sourire qui semblait dire : — Cela est bon pour votre génération efféminée. Puis il commença son récit en ces termes.

i.

Vous ne demeurez pas très loin de la Roche-Mauprat, vous avez dû passer souvent le long de ces ruines : je n’ai donc pas besoin de vous en faire la description. Tout ce que je puis vous en apprendre, c’est que jamais ce séjour n’a été aussi agréable qu’il l’est maintenant. Le jour où j’en fis enlever le toit, le soleil éclaira pour la première fois les humides lambris où s’était écoulée mon enfance, et les lézards auxquels je les ai cédés, y sont beaucoup mieux logés que je ne le fus jadis. Ils peuvent au moins contempler la lumière du jour et réchauffer leurs membres froids au rayon de midi.

Il y avait la branche aînée et la branche cadette des Mauprat. Je suis de la branche aînée. Mon grand-père était ce vieux Tristan de Mauprat, qui mangea sa fortune, déshonora son nom, et fut si méchant, que sa mémoire est déjà entourée de merveilleux. Les paysans croient encore voir apparaître son spectre alternativement dans le corps d’un sorcier qui enseigne aux malfaiteurs le chemin des habitations de la Varenne, et dans celui d’un vieux lièvre blanc qui apparaît aux gens tentés de quelque mauvais dessein. La branche cadette n’existait plus, lorsque je vins au monde, que dans la personne de M. Hubert de Mauprat, qu’on appelait le chevalier, parce qu’il était dans l’ordre de Malte, et qui était aussi bon que son cousin l’était peu. Cadet de famille, il s’était voué au célibat ; mais, resté seul de plusieurs frères et sœurs, il se fit relever de ses vœux et prit femme un an avant ma naissance. Avant de changer ainsi son existence, il avait fait, dit-on, de grands efforts pour trouver dans la branche aînée un héritier digne de re-