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tabac au visage, semble maître de son ame au point que nul signe d’émotion ou de dégoût ne se révèle sur sa face. Cette tranquillité stoïque et les larmes silencieuses de ce serviteur appuyé contre la cheminée de la chambre sont d’un bel effet. Le soldat prédicateur du fond et les soldats ivres et endormis des premiers plans concourent heureusement à l’harmonie de l’ensemble. Ce tableau est pensé avec noblesse, composé avec habileté et peint avec grand soin ; cependant il laisse à désirer plus de chaleur et de vie. Nous en dirons autant du Strafford marchant au supplice, et s’agenouillant près du cachot de son ami l’archevêque de Canterbury, pour recevoir sa bénédiction. La tête du malheureux ministre et celles des soldats qui le suivent et le précèdent, sont d’un beau caractère ; mais les mains de l’archevêque, ces mains qui passent au travers des barreaux, sans qu’on puisse voir la figure du prisonnier, nous semblent vouloir produire un effet qui dépasse les bornes de la véritable peinture. Déjà, dans le tableau de Jeane Grey, l’affectation des mains cherchant le billot glaçait l’émotion de la scène. Il en est de même encore ici. Ce jeu de pantomime appelle l’attention sur l’esprit et l’habileté de l’auteur au détriment du sujet principal, du Strafford à genoux. Comme peinture et comme composition, ce tableau est, à notre avis, inférieur au Charles Ier. En général, dans l’exposition des ouvrages de M. Delaroche, cette année, nous ne trouvons ni le grandiose de l’Élisabeth, ni la sombre couleur du Cromwell, ni le sentiment mélancolique des Enfans d’Édouard.

Flamand de nom et de naissance, je crois, M. Ary Scheffer a commencé, dans ses premières batailles, ses premiers portraits et ses premières compositions romantiques, par suivre les traces de Rembrandt et de Rubens. Puis, il quitta ces profonds dispensateurs de la lumière et de l’ombre, pour le ciel rude et sévère du génie allemand ; il quitta le Christ et ses petits enfans pour la Marguerite de Faust, la Marguerite pour la Francesca de Dante, et arriva enfin à l’Italie, après avoir passé par la Flandre et l’Allemagne. Maintenant, il semble vouloir terminer là son voyage, car plus il produit, et plus il semble s’attacher à la correction de la forme. Rien de vague, rien de flottant ; tout est arrêté et dessiné même dans l’ombre. Voilà comme il apparaît aujourd’hui dans ses deux tableaux principaux, le Christ guérissant les affligés, et sa