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MAUPRAT.

que, s’étant agenouillé, il se mit en devoir de me déchausser pour me mettre au lit. Pour le coup, je crus qu’il se moquait de moi, et je faillis lui asséner un grand coup de poing sur la tête ; mais il avait l’air si grave en s’acquittant de cette besogne, que je restai stupéfait à le regarder.

Dans les premiers momens, me trouvant au lit, sans armes, et avec des gens qui allaient et venaient autour de moi en marchant sur la pointe du pied, il me vint encore des mouvemens de méfiance. Je profitai d’un instant où j’étais seul pour me relever, et prenant sur la table à demi desservie le plus long couteau que je pus choisir, je me couchai plus tranquille, et m’endormis profondément en le tenant bien serré dans ma main.

Quand je m’éveillai, le soleil couchant jetait sur mes draps, d’une finesse extrême, le reflet adouci de mes rideaux de damas rouge, et faisait étinceler les grenades dorées qui ornaient les coins du dossier. Ce lit était si beau et si moelleux, que je faillis lui faire des excuses de m’être couché dedans. En me soulevant, je vis une figure douce et vénérable qui entr’ouvrait ma courtine et qui me souriait. C’était le chevalier Hubert de Mauprat, qui m’interrogeait avec intérêt sur l’état de ma santé. J’essayai d’être poli et reconnaissant ; mais les expressions dont je me servais ressemblaient si peu aux siennes, que je me troublai et souffris de ma grossièreté, sans pouvoir m’en rendre compte. Pour comble de malheur, à un mouvement que je fis, le couteau que j’avais pris pour camarade de lit, tomba aux pieds de M. de Mauprat, qui le ramassa, le regarda et me regarda ensuite avec une extrême surprise. Je devins rouge comme le feu, et balbutiai je ne sais quoi. Je m’attendais à des reproches, pour cette insulte faite à son hospitalité ; mais il était trop poli pour pousser plus loin l’explication. Il posa tranquillement le couteau sur la cheminée, et revenant à moi, il me parla ainsi :

— Bernard, je sais maintenant que je vous dois la vie de ce que j’ai de plus cher au monde. Toute la mienne sera consacrée à vous prouver ma reconnaissance et mon estime. Ma fille aussi a contracté envers vous une dette sacrée. N’ayez donc aucune inquiétude pour votre avenir. Je sais à quelles persécutions et à quelles vengeances vous vous êtes exposé pour venir à nous ; mais je sais aussi à quelle affreuse existence mon amitié et mon dévouement