Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 10.djvu/205

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
195
MAUPRAT.

Je jetai un regard de côté, et je vis qu’Edmée riait sous son éventail : elle s’amusait du bavardage de cette vieille fille, qui passait pour avoir de l’esprit, et à qui on laissait le droit de tout dire. Je fus très blessé de voir que ma cousine se moquait de moi.

— Il a l’air d’un ours, d’un blaireau, d’un loup, d’un milan, de tout, plutôt que d’un homme ! continua la Leblanc ; quelles mains ! quelles jambes ! et encore ce n’est rien à présent qu’il est un peu décrassé. Il fallait le voir le jour où il est arrivé avec son sarreau et ses guêtres de cuir ; c’était à faire trembler ! — Tu trouves ? reprit Edmée ; moi, je l’aimais mieux avec son costume de braconnier, cela allait mieux à sa figure et à sa taille. — Il avait l’air d’un bandit ; mademoiselle ne l’a donc pas regardé ? — Si fait.

Le ton dont elle prononça ce si fait me fit frémir, et je ne sais pourquoi l’impression du baiser qu’elle m’avait donné à la Roche-Mauprat me revint sur les lèvres.

— Encore s’il était coiffé ! reprit la duègne ; mais jamais on n’a pu le faire consentir à se laisser poudrer. Saint-Jean m’a dit qu’au moment où il avait approché la houpe de sa tête, il s’était levé furieux, en disant : — Ah ! tout ce que vous voudrez, excepté cette farine-là. Je veux pouvoir remuer la tête sans tousser et éternuer. Dieu ! quel sauvage ! — Mais, au fond, il a bien raison, si la mode n’autorisait pas cette absurdité-là, tout le monde s’apercevrait que c’est laid et incommode. Regarde s’il n’est pas plus beau d’avoir de grands cheveux noirs. — Ces grands cheveux-là ? quelle crinière ! cela fait peur. — D’ailleurs les enfans ne portent pas de poudre, et c’est encore un enfant que ce garçon-là. — Un enfant ! tudieu ! quel marmot ! il en mangerait à son déjeuner des enfans ! c’est un ogre. Mais d’où sort ce gaillard-là ? M. le chevalier l’aura tiré de la charrue pour l’amener ici. Est-ce qu’il s’appelle… Comment donc s’appelle-t-il ? — Curieuse, je t’ai dit qu’il s’appelle Bernard. — Bernard ! et rien avec ? — Rien, pour le moment. Que regardes-tu ? — Il dort comme un loir ! Voyez le balourd ? Je regarde s’il ressemble à M. le chevalier. C’est peut-être un instant d’erreur ; il aura eu un jour d’oubli avec quelque bouvière. — Allons donc, Leblanc, vous allez trop loin… — Eh ! mon Dieu ! mademoiselle, est-ce que M. le chevalier n’a pas été jeune comme un autre ? et cela empêche-t-il la vertu de venir avec l’âge ? — Sans doute, tu sais ce qui en est par expérience. Mais, écoute, ne t’avise pas de