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jeune captif, victime de leurs mauvais traitemens, et plein d’heureuses dispositions. Le chevalier, dans sa générosité bienveillante et dans son désir de réhabiliter la famille, exagéra beaucoup à coup sûr mes mérites, et fit partout répandre le bruit que j’étais un ange de douceur et d’intelligence.

Le jour où M. Hubert se porta adjudicataire, il entra dès le matin dans ma chambre, accompagné de sa fille et de l’abbé, et me montrant les actes par lesquels il consommait ce sacrifice (la Roche-Mauprat valait environ 200,000 livres), il me déclara que j’allais être mis sur-le-champ en possession, non-seulement de ma part d’héritage, qui n’était pas considérable, mais de la moitié du revenu de la propriété. En même temps, la propriété totale, fonds et produit, m’allait être assurée par testament du chevalier, le tout à une seule condition, c’est que je consentirais à recevoir une éducation sortable à ma qualité.

Le chevalier avait fait toutes ces dispositions avec bonté et simplicité, moitié par reconnaissance de ce qu’il savait de ma conduite envers Edmée, moitié par orgueil de famille. Mais il ne s’attendait pas à la résistance qu’il trouva en moi au sujet de l’éducation. Je ne saurais dire quel mécontentement souleva en moi le mot de condition. Je crus y voir surtout le résultat de quelque manœuvre d’Edmée, pour se débarrasser de sa parole envers moi.

— Mon oncle, répondis-je après avoir écouté toutes ses offres magnifiques dans un silence absolu, je vous remercie de tout ce que vous voulez faire pour moi ; mais il ne me convient pas de l’accepter. Je n’ai pas besoin de fortune. À un homme comme moi, il ne faut que du pain, un fusil, un chien de chasse, et le premier cabaret qui se trouvera sur la lisière des bois. Puisque vous avez la complaisance de me servir de tuteur, payez-moi la rente de mon huitième de propriété sur le fief, et n’exigez pas que j’apprenne vos sornettes de latin. Un gentilhomme en sait assez quand il peut abattre une sarcelle et signer son nom. Je ne tiens pas à être seigneur de la Roche-Mauprat. C’est assez d’y avoir été esclave. Vous êtes un brave homme, et sur mon honneur, je vous aime ; mais je n’aime guère les conditions. Je n’ai jamais rien fait par intérêt, et j’aime mieux rester ignorant que de devenir bel esprit aux gages du prochain. Quant à ma cou-