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dai-je ; n’y a-t-elle pas été sous ma protection ? N’en est-elle pas sortie pure, grâce à moi ? Et peut-on ignorer dans le pays qu’elle y ait passé deux heures ? — On l’ignore entièrement, répondit-il ; au moment où elle en sortait, la Roche-Mauprat tombait sous les coups des assiégeans, et aucun de ses hôtes ne reviendra du sein de la tombe, ou du fond de l’exil, pour raconter ce fait. Quand vous connaîtrez davantage le monde, vous comprendrez de quelle importance il est pour la réputation d’une jeune personne, qu’on ne puisse pas supposer que l’ombre d’un danger ait seulement passé sur son honneur. En attendant, je vous adjure, au nom de son père, au nom de l’amitié que vous avez pour elle, et que vous lui avez exprimée ce matin d’une manière si noble et si touchante !… — Vous êtes très adroit, monsieur l’abbé, dis-je en l’interrompant, toutes vos paroles ont un sens caché que je comprends fort bien, tout grossier que je suis. Dites à ma cousine qu’elle se rassure. Je n’ai pas sujet de nier sa vertu, très certainement, et je ne suis d’ailleurs pas capable de faire manquer le mariage qu’elle désire. Dites-lui que je ne réclame d’elle qu’une chose, c’est cette promesse d’amitié qu’elle m’a faite à la Roche-Mauprat, — Cette promesse a donc à vos yeux une singulière solennité ? dit l’abbé, et quelle méfiance peut-elle vous laisser en ce cas ? Je le regardai fixement, et comme il me semblait troublé, je pris plaisir à le tourmenter, espérant qu’il rapporterait mes paroles à Edmée. — Aucune, répondis-je ; seulement je vois qu’on craint l’abandon de M. de La Marche, au cas où l’aventure de la Roche-Mauprat viendrait à se découvrir. Si ce monsieur est capable de soupçonner Edmée, et de lui faire outrage à la veille de ses noces, il me semble qu’il y a un moyen bien simple de raccommoder tout cela. — Et lequel, selon vous ? — C’est de le provoquer et de le tuer. — Je pense que vous ferez tout pour éviter cette dure nécessité et ce péril affreux au respectable M. Hubert. — Je les lui éviterai de reste, en me chargeant de venger ma cousine. C’est mon droit, monsieur l’abbé ; je connais les devoirs d’un gentilhomme tout aussi bien que si j’avais appris le latin. Vous pouvez le lui dire de ma part. Qu’elle dorme en paix ; je me tairai, et si cela ne sert à rien, je me battrai. — Mais, Bernard, reprit l’abbé d’un ton insinuant et doux, songez-vous à l’attachement de votre cousine