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MAUPRAT.

jeunes inspirations par un père plein de confiance, de bonté et d’incurie, s’était formée à peu près seule. L’abbé Aubert, qui lui avait fait faire sa première communion, n’avait point proscrit de ses lectures les philosophes qui l’avaient séduit lui-même. Ne trouvant autour d’elle ni contradiction, ni même discussion, car, en toutes choses, elle entraînait son père, dont elle était l’idole, Edmée était restée fidèle à des principes en apparence bien opposés, la philosophie, qui préparait la ruine du christianisme, et le christianisme, qui proscrivait l’esprit d’examen. Pour expliquer cette contradiction, il faut que vous vous reportiez à ce que je vous ai dit de l’effet que produisit sur l’abbé Aubert la profession de foi du vicaire savoyard. Vous n’ignorez pas d’ailleurs que, dans les ames poétiques, le mysticisme et le doute règnent de pair. Jean-Jacques en fut un exemple éclatant et magnifique, et vous savez quelles sympathies il éveilla chez les prêtres et chez les nobles, alors même qu’il les gourmandait avec tant de véhémence. Quels miracles n’opère pas la conviction, aidée d’une éloquence sublime ! Edmée avait bu à cette source vive avec toute l’avidité d’une ame ardente. Dans ses rares voyages à Paris, elle avait recherché les ames sympathiques à la sienne. Mais là elle avait trouvé tant de nuances, si peu d’accord, et surtout, malgré la mode, tant de préjugés indestructibles, qu’elle s’était rattachée avec amour à sa solitude et à ses poétiques rêveries sous les vieux chênes de son parc. Elle parlait déjà de ses déceptions, et refusait avec un bon sens au-dessus de son âge, et peut-être de son sexe, toutes les occasions de se mettre en rapport direct avec ces philosophes dont les écrits faisaient sa vie intellectuelle. — Je suis un peu sybarite, disait-elle en souriant. J’aime mieux respirer un bouquet de roses préparé pour moi dès le matin dans un vase, que d’aller le chercher au milieu des épines et à l’ardeur du soleil.

Ce qu’elle disait de son sybaritisme n’était d’ailleurs qu’une figure. Élevée aux champs, elle était forte, active, courageuse, enjouée ; elle joignait à toutes les grâces de la beauté délicate toute l’énergie de la santé physique et morale. C’était une fière et intrépide jeune fille, autant qu’une douce et affable châtelaine. Je l’ai trouvée souvent bien haute et bien dédaigneuse ; Patience et les pauvres de la contrée l’ont toujours trouvée humble et débonnaire.