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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 10.djvu/223

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MAUPRAT.

instant. J’attendis l’’heure où elle montait à sa chambre, et je sortis un peu avant elle pour aller l’attendre sur l’escalier. — Croyez-vous, lui dis-je, que je sois dupe de vos mensonges, et que je ne m’aperçoive pas très bien, depuis un mois que je suis ici sans que vous m’adressiez la parole, que vous m’avez berné comme un sot ? Vous m’avez menti, et aujourd’hui vous me méprisez, parce que j’ai eu l’honnêteté de croire à votre parole. — Bernard, me dit-elle d’un ton froid, ce n’est pas ici le lieu et l’heure de nous expliquer. — Oh ! je sais bien, repris-je, que ce ne sera jamais le lieu ni l’heure selon vous ; mais je saurai les trouver, n’en doutez pas. Vous avez dit que vous m’aimiez ; vous m’avez jeté les bras au cou, et vous m’avez dit en m’embrassant, — ici, — je sens encore vos lèvres sur ma joue : « Sauve-moi, et je jure par l’Évangile, par l’honneur, par le souvenir de ma mère et de la tienne, que je t’appartiendrai. » Je sais bien que vous avez dit tout cela parce que vous aviez peur de ma force ; et ici, je sais bien que vous me fuyez parce que vous avez peur de mon droit. Mais vous n’y gagnerez rien ; je jure que vous ne vous jouerez pas long-temps de moi. — Je ne vous appartiendrai jamais, répondit-elle avec une froideur de plus en plus glaciale, si vous ne changez pas de langage, de manières et de sentimens. Tel que vous êtes, je ne vous crains pas. Je pouvais, lorsque vous me paraissiez bon et généreux, vous céder moitié par peur et moitié par sympathie ; mais du moment que je ne vous aime plus, je ne vous crains pas davantage. Corrigez-vous, instruisez-vous, et nous verrons. — Fort bien, lui dis-je ; voilà une promesse que j’entends. J’agirai en conséquence, et ne pouvant être heureux, je serai vengé. — Vengez-vous tant qu’il vous plaira, dit-elle, cela fera que je vous mépriserai.

Elle tira, en parlant ainsi, un papier de son sein, et le brûla tranquillement à la flamme de sa bougie. — Qu’est-ce que vous faites là ? lui dis-je. — Je brûle une lettre que je vous avais écrite, répondit-elle. Je voulais vous faire entendre raison ; mais c’est bien inutile ; on ne s’explique pas avec les brutes. — Vous allez me donner cette lettre ! m’écriai-je en me jetant sur elle pour lui arracher le papier enflammé. Mais elle le retira brusquement, et l’éteignant dans sa main avec intrépidité, elle jeta le flambeau à mes pieds, et s’échappa dans les ténèbres. Je la poursuivis en vain.