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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 10.djvu/30

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inculte. Néanmoins il était tout étonné de passer tant de soirs d’hiver au coin de son feu avec ce paysan, sans éprouver ni ennui ni fatigue, et il se demandait pourquoi le magister du village, et même le prieur du couvent, quoique sachant grec et latin, lui semblaient l’un ennuyeux, l’autre erroné dans tous leurs discours. Il connaissait toute la pureté des mœurs de Patience, et il s’expliquait l’ascendant de son esprit par le pouvoir et le charme que la vertu exerce et répand autour d’elle. Puis il s’accusait humblement chaque soir devant Dieu de n’avoir pas disputé avec son élève à un point de vue assez chrétien. Il confessait à son ange gardien que l’orgueil de sa science et le plaisir qu’il avait goûté à se voir écouté si religieusement l’avaient un peu emporté au-delà des limites de l’enseignement religieux, qu’il avait cité trop complaisamment les auteurs profanes, qu’il avait même trouvé un dangereux plaisir à se promener, avec son auditeur, dans les champs du passé, pour y cueillir des fleurs païennes que l’eau du baptême n’avait pas arrosées, et qu’il n’était pas permis à un prêtre de respirer avec tant de charme.

De son côté, Patience chérissait le curé. C’était son seul ami, le seul lien qu’il eût avec la société, le seul aussi qu’il eût avec Dieu par la lumière de la science. Le paysan s’exagérait beaucoup le savoir de son pasteur. Il ne savait pas que même les plus éclairés des hommes civilisés prennent souvent à rebours, ou ne prennent pas du tout, le cours des connaissances humaines. Patience eût été délivré de grandes anxiétés d’esprit s’il eût pu découvrir, à coup sûr, que son maître se trompait fort souvent, et que c’était l’homme et non la vérité qui faisait défaut. Ne le sachant pas et voyant l’expérience des siècles en désaccord avec le sentiment inné de la justice, il était en proie à des rêveries continuelles ; et vivant seul, errant dans la campagne à toutes les heures du jour et de la nuit, absorbé dans des préoccupations inconnues à ses pareils, il donnait de plus en plus crédit aux fables de sorcellerie débitées contre lui.

Le couvent n’aimait pas le pasteur. Quelques moines que Patience avait démasqués haïssaient Patience. Le pasteur et l’élève furent persécutés. Les moines ignares ne reculèrent pas devant la possibilité d’accuser le curé auprès de son évêque de s’adonner aux sciences occultes, de concert avec le magicien Patience. Une sorte de guerre religieuse s’établit dans le village et dans les alen-