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temples de l’antiquité. Lorsqu’en 1306 il trouva un asile chez eux contre le peuple soulevé, ce fut sans doute pour lui une occasion d’admirer ces trésors de l’ordre ; les chevaliers étaient trop confians, trop fiers pour lui rien cacher.

La tentation était forte pour le roi. La victoire de Mons en Puelle l’avait ruiné. Déjà contraint de rendre la Guienne, il l’avait été encore de lâcher la Flandre flamande. Sa détresse pécuniaire était extrême, et pourtant il lui fallut révoquer un impôt contre lequel la Normandie s’était soulevée. Le peuple était déjà si ému, qu’on défendit les rassemblemens de plus de cinq personnes. Le roi ne pouvait sortir de cette situation désespérée que par quelque grande confiscation. Or, les juifs ayant été chassés, le coup ne pouvait frapper que sur les prêtres ou sur les nobles, ou bien sur un ordre qui appartenait aux uns ou aux autres, mais qui, par cela même, n’appartenant exclusivement ni à ceux-ci ni à ceux-là, ne serait défendu par personne. Loin d’être défendus, les templiers furent plutôt attaqués par leurs défenseurs naturels. Les moines les poursuivirent ; les nobles, les plus grands seigneurs de France, donnèrent par écrit leur adhésion au procès.

Philippe-le-Bel avait été élevé par un dominicain ; il avait pour confesseur un dominicain. Long-temps ces moines avaient été amis des templiers, au point même qu’ils s’étaient engagés à solliciter de chaque mourant qu’ils confesseraient, un legs pour le Temple ; mais peu à peu les deux ordres étaient devenus rivaux. Les dominicains avaient un ordre militaire à eux, les cavalieri gaudenti, qui ne prit pas grand essor. À cette rivalité accidentelle, il faut ajouter une cause plus grave de haine. Les templiers étaient nobles ; les dominicains, les mendians, étaient en grande partie roturiers, quoique, dans leur tiers-ordre, ils comptassent des laïques illustres et même des rois.

Dans les ordres mendians, comme dans les légistes conseillers de Philippe-le-Bel, il y avait contre les nobles, les hommes d’armes, les chevaliers, un fonds commun de malveillance, un levain de haine niveleuse. Les légistes devaient haïr les templiers comme moines ; les dominicains les détestaient comme gens d’armes, comme moines mondains, qui réunissaient les profits de la sainteté et l’orgueil de la vie militaire. L’ordre de saint Dominique, inquisiteur dès sa naissance, pouvait se croire obligé en conscience