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LES TEMPLIERS.

assemblée de notables. Puis il vint au concile avec ses fils, ses princes et un grand cortége de gens armés ; il siégea à côté du pape, un peu au-dessous.

Les évêques se montrèrent peu dociles, s’obstinant à vouloir entendre la défense des templiers. Les prélats d’Italie, moins un seul ; ceux d’Espagne, ceux d’Allemagne et de Danemarck ; ceux d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande ; les Français même, sujets de Philippe (sauf les archevêques de Reims, de Sens et de Rouen), déclarèrent qu’ils ne pouvaient condamner sans entendre.

Il fallut donc qu’après avoir assemblé le concile, le pape s’en passât. Il assembla ses évêques les plus sûrs et quelques cardinaux, et dans ce consistoire il abolit l’ordre de son autorité pontificale. L’abolition fut prononcée ensuite, en présence du roi et du concile. Aucune réclamation ne s’éleva.

Il faut avouer que ce procès n’était pas de ceux qu’on peut juger. Il embrassait l’Europe entière ; les dépositions étaient par milliers, les pièces innombrables ; les procédures avaient différé dans les différens états. La seule chose certaine, c’est que l’ordre était désormais inutile, et de plus dangereux. Quelque peu honorables qu’aient été ses secrets motifs, le pape agit sensément. Il déclare dans sa bulle explicative que les informations ne sont pas assez sûres, qu’il n’a pas le droit de juger, mais que l’ordre est suspect ordinem valdè suspectum[1]. Clément XIV n’agit pas autrement à l’égard des jésuites.

Clément V s’efforça ainsi de couvrir l’honneur de l’église. Il falsifia secrètement les registres de Boniface, mais il ne révoqua par-devant le concile qu’une seule de ses bulles (Clericis laïcos), celle qui ne touchait point la doctrine, mais qui empêchait le roi de prendre l’argent du clergé.

Ainsi, ces grandes querelles d’idées et de principes retombèrent aux questions d’argent. Les biens du Temple devaient être employés à la délivrance de la Terre-Sainte, et donnés aux hospitaliers. On accusa même cet ordre d’avoir acheté l’abolition du

  1. On ne peut nier toutefois qu’il n’y eût aussi beaucoup de complaisance et de servilité à l’égard du roi de France. C’était l’opinion du temps. « Et sicut audivi ab uno qui fuit examinator causæ et testium, destructus fuit (ordo) contrà justitiam. Et mihi dixit quod ipse Clemens protulit hoc : Et si non per viam justitiæ potest destrui, destruatur tamen per viam expedientiæ, ne scandalizetur charus filius noster rex Franciæ. » (Albericus à Rosate.)