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MAUPRAT.

illustre famille, on lui fit encore plus d’accueil, et peu à peu le petit salon qu’elle avait choisi pour les vieux amis de son père devint trop étroit pour les beaux esprits de qualité et de profession, et les grandes dames à idées philosophiques, qui voulurent connaître la jeune quakress, ou la rose du Berry. (Ce furent les noms qu’une femme à la mode lui donna.)

Ce rapide succès d’Edmée dans un monde auquel, jusque-là, elle avait été inconnue, ne l’étourdit nullement ; et l’empire qu’elle possédait sur elle-même était si grand, que jamais, malgré toute l’inquiétude avec laquelle j’épiais ses moindres mouvemens, je ne pus savoir si elle était flattée de produire tant d’effet ; ce que je pus remarquer, ce fut l’admirable bon sens qui présidait à toutes ses démarches et à toutes ses paroles. Son attitude à la fois naïve et réservée, un certain mélange d’abandon et de fierté modeste la faisait briller parmi les femmes les plus admirées et les plus habituées à capter l’attention ; et c’est ici le lieu de dire que je fus extrêmement choqué, tout d’abord, du ton et de la tenue de ces femmes si vantées ; elles me semblaient ridicules dans leurs graces étudiées, et leur grande habitude du monde me faisait l’effet d’une insupportable effronterie. Moi, si hardi intérieurement, et naguère si grossier dans mes manières, je me sentais mal à l’aise et décontenancé auprès d’elles ; et il me fallait tous les reproches et toutes les remontrances d’Edmée pour ne pas me livrer à un profond mépris pour cette courtisanerie des regards, de la toilette et des agaceries, qui s’appelait dans le monde la coquetterie permise, le désir charmant de plaire, l’amabilité, la grace. L’abbé était de mon avis. Quand le salon était vide, nous restions quelques instans en famille au coin du feu avant de nous séparer. C’est le moment où l’on sent le besoin de résumer ses impressions éparses, et de les communiquer à des êtres sympathiques. L’abbé rompait donc les mêmes lances que moi contre mon oncle et ma cousine. Le chevalier, galant admirateur du beau sexe qu’il n’avait jamais beaucoup pratiqué, prenait, en vrai chevalier français, la défense de toutes les beautés que nous attaquions impitoyablement. Il accusait, en riant, l’abbé de raisonner, à l’égard des femmes, comme le renard de la fable à l’égard des raisins. Moi, je renchérissais sur les critiques de l’abbé ; c’était une manière de dire ; avec chaleur, à Edmée combien je la préférais à