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MAUPRAT.

tant ma conversation de ce soir, car je vous avertis que je suis idiote. — Tant mieux, cousine ; vous ne m’humilierez pas, et pour la première fois nous serons sur le pied de l’égalité. Mais voulez-vous me dire pourquoi vous méprisez tant mes asters ? Je croyais que vous les garderiez comme une relique. — À cause de Rousseau ? dit-elle en souriant avec malice sans lever les yeux sur moi.

— Oh ! c’est bien ainsi que je l’entends, repris-je. — Je joue un jeu très intéressant, dit-elle ; ne me dérangez pas. — Je le connais, lui dis-je ; tous les enfans de la Varenne le jouent, et toutes nos bergères croient à l’arrêt du sort que ce jeu révèle. Voulez-vous que je vous explique vos pensées, lorsque vous arrachez ces pétales quatre à quatre ? — Voyons, grand nécroman !

Un peu, c’est ainsi que quelqu’un vous aime ; — beaucoup, c’est ainsi que vous l’aimez ; — passionnément, un autre vous aime ainsi ; — pas du tout, voilà comme vous aimez celui-là.

— Et pourrait-on savoir, monsieur le devin, reprit Edmée, dont la figure devint plus sérieuse, ce que signifient quelqu’un et un autre ? Je crois que vous êtes comme les antiques pythonisses ; vous ne savez pas vous-même le sens de vos oracles. — Ne sauriez-vous deviner le mien, Edmée ? — J’essaierai d’interpréter l’énigme, si vous voulez me promettre de faire ensuite ce que fit le sphynx vaincu par Œdipe. — Oh ! Edmée, m’écriai-je, il y a long-temps que je me casse la tête contre les murs à cause de vous et de vos interprétations ! et cependant vous n’avez pas deviné juste une seule fois. — Oh ! mon Dieu, si ! dit-elle en jetant le bouquet sur la cheminée ; vous allez voir. J’aime un peu M. de La Marche, et je vous aime beaucoup. Il m’aime passionnément, et vous ne m’aimez pas du tout. Voici la vérité.

— Je vous pardonne de tout mon cœur cette méchante interprétation à cause du mot beaucoup, lui répondis-je. Et j’essayai de prendre ses mains ; elle les retira brusquement, et, en vérité, elle eut tort, car si elle me les eût abandonnées, je me fusse borné à les serrer fraternellement ; mais cette sorte de méfiance réveilla des souvenirs dangereux pour moi. Je crois qu’elle avait ce soir-là dans son air et ses manières beaucoup de coquetterie, et jusque-là je ne lui en avais jamais vu la moindre velléité. Je me sentis enhardi sans trop savoir pourquoi, et j’osai lui faire des remarques piquantes sur son tête-à-tête avec M. de La Marche. Elle