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MAUPRAT.

qu’il vient d’échapper à de grands périls, et que la conquête de sa propre vie le remplit d’un orgueil insouciant. Arthur riait de tout son cœur en m’écoutant, et m’assurait qu’il donnerait tout son bagage de naturaliste pour un animal aussi curieux que celui dont je lui faisais la description. Le plaisir qu’il trouvait à partager mes enfantillages me donnant de la verve, je ne sais si j’aurais pu résister au désir de charger un peu mon modèle, lorsque tout à coup, au détour du chemin, nous nous trouvâmes en présence d’un homme de haute taille pauvrement vêtu, pitoyablement décharné, lequel marchait à nous d’un air grave et pensif, portant à la main une longue épée nue, dont la pointe était pacifiquement baissée jusqu’à terre. Ce personnage ressemblait si fort à celui que je venais de décrire, qu’Arthur, frappé de là-propos, fut pris d’un rire inextinguible, et, se rangeant de côté pour laisser passer le Sosie de Marcasse, se jeta sur le gazon au milieu d’une quinte de toux convulsive.

Quant à moi, je ne riais point, car rien de ce qui semble surnaturel ne manque de frapper vivement l’homme le plus habitué au danger. La jambe en avant, l’œil fixe, le bras étendu, nous nous approchions l’un vers l’autre, moi et lui, non pas l’ombre de Marcasse, mais la personne respectable, en chair et en os, de l’hidalgo preneur de taupes.

Pétrifié de surprise, lorsque je vis ce que je prenais pour un spectre porter lentement la main à la corne de son chapeau, et le soulever sans perdre une ligne de sa taille, je reculai de trois pas, et cette émotion, qu’Arthur prit pour une facétie de ma part, augmenta sa gaieté. Le chasseur de belettes n’en fut aucunement ému ; peut-être pensa-t-il, dans son calme judicieux, que c’était la manière d’aborder les gens sur l’autre rive de l’Océan.

Mais la gaieté d’Arthur faillit redevenir contagieuse lorsque Marcasse me dit avec un flegme incomparable : — Il y a long-temps, monsieur Bernard, que j’ai l’honneur de vous chercher. — Il y a long-temps, en effet, mon bon Marcasse, répondis-je en serrant gaiement la main de cet ancien ami ; mais dis-moi par quel pouvoir inoui j’ai eu le bonheur de t’attirer jusqu’ici ? Autrefois, tu passais pour sorcier, le serais-je devenu aussi sans m’en douter ? — Je vous dirai tout cela, mon cher général, répondit Marcasse, que mon uniforme de capitaine éblouissait apparemment ; veuillez