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sous les grands chênes de Sainte-Sévère. Enfin, après une dernière tempête essuyée sur les côtes de France, je mis le pied sur les grèves de la Bretagne, et je tombai dans les bras de mon pauvre sergent, qui avait supporté, sinon avec plus de force physique, du moins avec plus de tranquillité morale, les maux communs ; et nos larmes se confondirent.

xvi.

Nous partîmes de Brest sans nous faire précéder d’aucune lettre. Lorsque nous approchâmes de la Varenne, nous mîmes pied à terre, et envoyant la chaise de poste par le plus long chemin, nous prîmes à travers bois. Quand je vis les arbres du parc élever leurs têtes vénérables au-dessus des bois-taillis, comme une grave phalange de druides au milieu d’une multitude prosternée, mon cœur battit si fort, que je fus forcé de m’arrêter. — Eh bien ! me dit Marcasse en se retournant d’un air presque sévère, et comme s’il m’eût reproché ma faiblesse ; mais un instant après je vis sa philosophie également compromise par une émotion inattendue. Un petit glapissement plaintif et le frôlement d’une queue de renard dans ses jambes l’ayant fait tressaillir, il jeta un grand cri, en reconnaissant Blaireau. Le pauvre animal avait senti son maître de loin, il était accouru avec l’agilité de sa première jeunesse pour se rouler à nos pieds. Nous crûmes un instant qu’il allait y mourir, car il resta immobile, et comme crispé sous la main caressante de Marcasse ; puis, tout à coup se relevant comme frappé d’une idée digne d’un homme, il repartit avec la rapidité de l’éclair, et se dirigea vers la cabane de Patience.

— Oui ! va avertir mon ami, brave chien ! s’écria Marcasse, plus ami que toi serait plus qu’homme. — Il se retourna vers moi, et je vis deux grosses larmes rouler sur les joues de l’impassible hidalgo.

Nous doublâmes le pas jusqu’à la cabane. Elle avait subi de notables améliorations ; un joli jardin rustique, clos par une haie vive adossée à des quartiers de roc, s’étendait autour de la maisonnette ; nous arrivâmes, non plus, par le sentier pierreux, mais par une belle allée, aux deux côtés de laquelle des légumes splendides s’étalaient en lignes régulières comme une armée en ordre