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n’aimait pas les travaux d’aiguille ; elle avait l’esprit trop sérieux pour attacher de l’importance à l’effet d’une nuance à côté d’une nuance, et à la régularité d’un point pressé contre un autre point. D’ailleurs elle avait le sang impétueux ; et quand son esprit n’était pas absorbé par le travail de l’intelligence, il lui fallait de l’exercice et le grand air. Mais depuis que son père, en proie aux infirmités de la vieillesse, ne quittait presque plus son fauteuil, elle ne quittait plus son père un seul instant, et ne pouvant toujours lire et vivre par l’esprit, elle avait senti la nécessité d’adopter ces occupations féminines, qui sont, disait-elle, les amusemens de la captivité. Elle avait donc vaincu son caractère d’une manière héroïque. Dans une de ces luttes obscures qui s’accomplissent souvent sous nos yeux, sans que nous en soupçonnions le mérite, elle avait fait plus que de dompter son caractère, elle avait changé jusqu’à la circulation de son sang. Je la trouvai maigrie, et son teint avait perdu cette première fleur de la jeunesse, qui est comme la fraîche vapeur que l’haleine du matin dépose sur les fruits, et qui s’enlève au moindre choc extérieur, bien que l’ardeur du soleil l’ait respectée. Mais il y avait, dans cette pâleur précoce et dans cette maigreur un peu maladive, un charme indéfinissable ; son regard plus enfoncé, et toujours impénétrable, avait moins de fierté et plus de mélancolie qu’autrefois ; sa bouche plus mobile avait le sourire plus fin et moins dédaigneux. Lorsqu’elle me parla, il me sembla voir deux personnes en elle, l’ancienne et la nouvelle ; et au lieu d’avoir perdu de sa beauté, je trouvai qu’elle avait complété l’idéal de la perfection. J’ai pourtant ouï dire alors à plusieurs personnes qu’elle avait beaucoup changé, ce qui voulait dire, selon elles, qu’elle avait beaucoup perdu. Mais la beauté est comme un temple dont les profanes ne voient que les richesses extérieures. Le divin mystère de la pensée de l’artiste ne se révèle qu’aux grandes sympathies, et le moindre détail de l’œuvre sublime renferme une inspiration qui échappe à l’intelligence du vulgaire. Un de vos modernes écrivains a dit cela, je crois, en d’autres termes, et beaucoup mieux. Quant à moi, dans aucun moment de sa vie, je n’ai trouvé Edmée moins belle que dans un autre moment ; jusque dans les heures de souffrance où la beauté semble effacée dans le sens matériel, la sienne se divinisait à mes