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MAUPRAT.

n’est qu’un intrigant, comme tant d’autres, à qui vous avez fait la charité aveuglément. Pardonnez-moi, mon bon abbé, mais vous n’êtes pas un grand physionomiste et vous êtes un peu sujet à vous laisser prévenir pour ou contre les gens, sans autre motif que la disposition bienveillante ou craintive de votre esprit romanesque.

L’abbé sourit, prétendit que je parlais ainsi par rancune, soutint la piété du trappiste, et retomba dans la botanique. Nous passâmes assez de temps à herboriser chez Patience, et, comme je ne cherchais qu’à échapper à moi-même, je sortis de la cabane avec l’abbé et le conduisis jusqu’au bois où il avait son rendez-vous. À mesure que nous en approchions, l’abbé semblait revenir un peu de son empressement de la veille et craindre d’avoir été trop loin. L’incertitude succédant si vite à l’enthousiasme, résumait tellement tout son caractère, mobile, aimant, timide, mélange singulier des entraînemens les plus opposés, que je recommençai à le railler avec l’abandon de l’amitié. — Allons, me dit-il, il faut que j’en aie le cœur net et que vous le voyiez. Vous regarderez son visage, vous l’étudierez pendant quelques instans et vous nous laisserez seuls ensemble, puisque je lui ai promis d’écouter ses confidences. — Je suivis l’abbé par désœuvrement ; mais quand nous fûmes au-dessus des rochers ombragés, d’où la fontaine s’échappe, je m’arrêtai pour regarder le moine à travers le branchage d’un massif de frênes. Placé immédiatement au-dessous de nous, au bord de la fontaine, il interrogeait l’angle du sentier que nous devions tourner pour arriver à lui ; mais il ne songeait pas à regarder l’endroit où nous étions, et nous pouvions le contempler à l’aise, sans qu’il nous vît.

À peine l’eus-je envisagé, que, saisi d’un rire amer, je pris l’abbé par le bras, je l’entraînai à quelque distance, et lui parlai ainsi, non sans une grande agitation.

— Mon cher abbé, n’avez-vous jamais rencontré quelque part, autrefois, la figure de mon oncle Jean de Mauprat ?

— Jamais que je sache, répondit l’abbé tout interdit ; mais où voulez-vous donc en venir ? — À vous dire, mon ami, que vous avez fait là une jolie trouvaille, et que ce bon et vénérable trappiste à qui vous trouvez tant de grâce, de candeur, de componction et d’esprit, n’est autre que Jean Mauprat le coupe-jarret.

— Vous êtes fou ! s’écria l’abbé en reculant de trois pas. Jean