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LA VÉNUS D’ILLE.

tres lui serraient les mains, l’appelant l’honneur du pays. S’il eût repoussé une invasion, je doute qu’il eût reçu des félicitations plus vives et plus sincères. Le chagrin des vaincus ajoutait encore à l’éclat de sa victoire.

— Nous ferons d’autres parties, mon brave, dit-il à l’Arragonais, d’un ton de supériorité ; mais je vous rendrai des points.

J’aurais désiré que M. Alphonse fût plus modeste, et je fus presque peiné de l’humiliation de son rival.

Le géant espagnol ressentit profondément cette insulte. Je le vis pâlir sous sa peau basanée. Il regardait d’un air morne sa raquette en serrant les dents ; puis, d’une voix étouffée, il dit tout bas : Me lo pagaràs.

La voix de M. de Peyrehorade troubla le triomphe de son fils ; mon hôte, fort étonné de ne point le trouver présidant aux apprêts de la calèche neuve, le fut bien plus encore en le voyant tout en sueur, la raquette à la main. M. Alphonse courut à la maison, se lava la figure et les mains, remit son habit neuf et ses souliers vernis, et cinq minutes après, nous étions au grand trot sur la route de Puygarrig. Tous les joueurs de paume illois et grand nombre de spectateurs nous suivirent avec des cris de joie. À peine les chevaux vigoureux qui nous traînaient pouvaient-ils maintenir leur avance sur ces intrépides Catalans.

Nous étions à Puygarrig, et le cortège allait se mettre en marche pour la mairie, lorsque M. Alphonse, se frappant le front, me dit tout bas :

— Quelle brioche ! J’ai oublié la bague ! Elle est au doigt de la Vénus, que le diable puisse emporter ! Ne le dites pas à ma mère au moins. Peut-être qu’elle ne s’apercevra de rien.

— Vous pourriez envoyer quelqu’un, lui dis-je.

— Bah ! mon domestique est resté à Ille. Ceux-ci, je ne m’y fie guère. Douze cents francs de diamans ! Cela pourrait en tenter plus d’un. D’ailleurs, que penserait-on ici de ma distraction. Ils se moqueraient trop de moi. Ils m’appeleraient le mari de la statue… Pourvu qu’on ne me la vole pas. Heureusement que l’idole fait peur à mes coquins. Ils n’osent l’approcher à longueur du bras. Bah ! ce n’est rien ; j’ai une autre bague.

Les deux cérémonies civile et religieuse s’accomplirent avec la pompe convenable ; et Mlle de Puygarrig reçut l’anneau d’une mo-