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complir la tâche plus vaste qu’il préfère, est obligé de trier les élémens ridicules et passionnés qu’il met en œuvre, et d’agrandir ces élémens avant de les combiner. S’il méconnaît cette condition, il tombe dans la mesquinerie du procès-verbal ; il abdique son caractère poétique et se fait chronique. Pour le drame, aussi bien que pour la tragédie et pour la comédie, idéaliser c’est comprendre la réalité plus profondément que les esprits vulgaires, c’est expliquer et rendre sensible à tous les yeux le sens caché de tout homme et de toute chose ; mais le drame, fidèle à cette loi impérieuse, n’est pas moins vrai, moins légitime que la tragédie et la comédie.

Si donc toutes les formes de la poésie dramatique consacrées par l’histoire sont également légitimes, qu’y a-t-il à faire pour découvrir à quelles conditions s’accomplira la réforme du théâtre moderne ? Ne faut-il pas chercher en quoi la tragédie et le drame diffèrent, en quoi la tragédie et le drame se ressemblent ? S’il y a en effet une différence profonde entre ces deux formes de la poésie, malgré l’égale légitimité de ces deux formes il y aura lieu cependant à préférer l’une à l’autre. Si au contraire la différence n’est qu’apparente, s’il se trouve dans toutes deux un caractère commun, il sera naturel et sage, non pas de tenter la conciliation de la tragédie et du drame, mais de poursuivre la peinture dramatique des passions, sans exclure le drame au profit de la tragédie, ou la tragédie au profit du drame, sans croire à la mutuelle exclusion de ces deux formes.

Or il nous semble que la tragédie et le drame se personnifient admirablement dans Sophocle et dans Shakespeare, car chacun de ces deux hommes a fondé une dynastie poétique. Racine et Alfieri appartiennent à Sophocle, comme Schiller et Goëthe appartiennent à Shakespeare. Nous pouvons donc sans injustice étudier la tragédie dans Sophocle et le drame dans Shakespeare. Quels que soient les changemens imposés au génie grec par la France et l’Italie, au génie anglais par l’Allemagne, nous avons la certitude de juger les enfans en jugeant le père.

Les personnages, le chœur et la fable de la tragédie antique nous frappent également par leur simplicité. Les héros de Sophocle n’expriment guère qu’un sentiment unique ; il est rare qu’ils offrent au spectateur la succession ou le combat de sentimens cont-