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ture et de la statuaire parlerait plus haut que l’orgueil blessé. Depuis Phidias jusqu’à Puget, depuis Raphaël jusqu’à Rubens, quel est, dans les monumens glorieux de la statuaire et de la peinture, l’élément qui domine tous les autres ? n’est-ce pas l’élément humain ? Pourquoi les parques du Parthénon et les cariatides du Louvre sont-elles assurées d’une admiration impérissable ? Pourquoi la Transfiguration et la Descente de croix sont-elles proposées à tous les amans de la peinture comme des chefs-d’œuvre dignes d’adoration ? n’est-ce pas parce que Phidias et Jean Goujon, Raphaël et Rubens, ont toujours préféré la vérité humaine à la vérité locale et passagère ? Consultez l’Académie des inscriptions, elle découvrira dans la Transfiguration et dans la Descente de croix des fautes de costume vraiment impardonnables, des fautes que MM. Caminade et Granger ne commettraient pas. Mais Rubens et Raphaël sont immortels malgré ces fautes. Les paysages bibliques de Nicolas Poussin fourniraient la matière de nombreux mémoires à celui qui voudrait relever toutes les erreurs de ce maître illustre. Mais ces erreurs, qui toutes se rapportent à la forme des vêtemens, à l’aspect des lieux, au style de l’architecture, n’entament pourtant pas la valeur de ces admirables paysages ; car nous n’avons qu’une sympathie assez tiède pour la partie érudite de la peinture, pour celle qui s’apprend dans les livres et les estampes ; nous réservons notre amour et notre enthousiasme pour la partie vraiment savante, pour la partie humaine, que les livres et les estampes n’enseigneront jamais.

Il est donc certain que les poètes qui se proposent la réforme du théâtre, ou qui croient l’avoir accomplie, seront amenés, tôt ou tard, à reconnaître la vérité de nos conclusions. Quand ils verront le public accueillir avec indifférence, avec dédain, la vingtième épreuve du système qu’ils ont construit, et détourner les yeux du drame splendide aussi bien que du drame physiologique, ils comprendront la nécessité de chercher dans l’histoire et dans la société, non pas le costume et le scandale, mais bien les passions qui agitent et les devoirs qui gouvernent l’humanité. Pour interpréter ainsi l’histoire et la société, il faut, il est vrai, plus que l’admiration de soi-même, il faut du génie.


Gustave Planche