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est si doux ! Il parle de la mort, de la résurrection, du paradis et de l’enfer, et ne laisse pas de donner en passant un coup de patte au ministère ; car de quoi n’est-il pas question dans sa prose ? Il parle de tout, ou plutôt croit parler, et l’assistance croit qu’elle écoute, et tous feignent d’être d’autres gens qu’ils ne sont, pour une matinée, par mode et par oisiveté. On dit en rentrant : « Je viens du sermon, » et l’abbé Rose affirme qu’il a prêché.

Soixante badauds, assis au large, composent l’auditoire de Florimond ; les trois quarts sont des femmes. D’où viennent ces visages-là ? Personne ne peut le dire. On les a évoqués, et ils sont sortis de terre. Florimond a cédé aux instances de ses nombreux et indiscrets amis, et il consent à ébaucher à ses heures perdues un cours d’histoire philosophique, fantastique et pittoresque. Mais il annonce que, parlant au beau sexe, il ne s’astreindra pas à une méthode aride, et il voltige, comme un papillon, de Pharamond à la Pompadour, et de Gengis-Khan à Moïse. Les uns se pâment, d’autres tendent le cou pour se donner un air d’attention ; quelques gens graves froncent le sourcil et regardent si on croit qu’ils réfléchissent ; les petites filles écarquillent leurs yeux et poussent de profonds soupirs. Florimond soulève son verre d’eau sucrée, se recueille une seconde, déroule sa péripétie, lance le trait, et avale le verre d’eau. On se lève, on l’entoure, il est épuisé. La foule s’écoule avec respect, et un petit nombre d’élus accompagne l’orateur au logis. Là, étendu sur un sopha, passant son mouchoir sur ses lèvres, il tend le nez aux encensoirs, et se couronne de palmes inconnues. « Vous avez parlé comme Bossuet, comme Fénelon, comme Jean-Jacques, comme Quintilien, comme Mirabeau ! » Cependant le pauvre diable, assommé d’éloges, conserve encore une lueur de bon sens ; il soulève le rideau, regarde les passans dans la rue ; à l’aspect de cette ville immense, il sent que sa coterie s’agite au fond d’un puits, et que personne ne se doute à Paris de son triomphe d’entresol.

L’étudiant Garnier, qui manque de bois et qui déjeune avec des raves, a lu, pour deux sous le volume, les Mémoires de Casanova. Le siècle de Louis XV lui trotte dans la tête ; il croit voir des nonnes à demi ivres, des boudoirs où les soupers arrivent par des trappes, des bas écarlates et des paillettes ; il sort, ne sachant où aller, cherchant fortune comme faisait Casanova ; il rencontre une