ne suis pas si sot que vous pensez, il n’y a de lâches ici que ceux qui mentent. Moi, j’ai juré que j’aurais la femme, et je ne la rendrai que quand il me plaira. — Allez au diable ! répondit Laurent, vous faites semblant… — Les décharges de mousqueterie redoublèrent. Des cris affreux se firent entendre. Laurent quitta la porte, et se mit à courir vers le bruit. Son empressement marquait tant de vérité, que je n’y pus résister. L’idée qu’on m’accuserait de lâcheté l’emporta ; je m’avançai vers la porte. — Bernard ! ô monsieur de Mauprat ! s’écria Edmée en se traînant après moi, laissez-moi aller avec vous, je me jetterai aux pieds de vos oncles, je ferai cesser ce combat, je leur céderai tout ce que je possède, ma vie, s’ils la veulent… pour que celle de mon père soit sauvée. — Attendez, lui dis-je en me retournant vers elle, je ne peux pas savoir si on ne se moque pas de moi. Je crois que mes oncles sont là derrière la porte, et que, pendant que nos valets de chiens tiraillent dans la cour, on tient une couverture pour me berner. Vous êtes ma cousine, ou vous êtes une… Vous allez me faire un serment, et je vous en ferai un à mon tour. Si vous êtes une princesse errante, et que, vaincu par vos grimaces, je sorte de cette chambre, vous allez jurer d’être ma maîtresse, et de ne souffrir personne auprès de vous avant que j’aie usé de mes droits ; ou bien moi, je vous jure que vous serez corrigée comme j’ai corrigé ce matin Flore, ma chienne mouchetée. Si vous êtes Edmée, et que je vous jure de me mettre entre votre père et ceux qui voudraient le tuer, que me promettrez-vous ? que me jurerez-vous ? — Si vous sauviez mon père, s’écria-t-elle, je vous jure que je vous épouserais. — Oui-dà ! lui dis-je, enhardi par son enthousiasme dont je ne comprenais pas la sublimité. Donnez-moi donc un gage, afin qu’en tous cas je ne sorte pas d’ici comme un sot. — Elle se laissa embrasser sans faire résistance, ses joues étaient glacées. Elle s’attachait machinalement à mes pas pour sortir, je fus obligé de la repousser. Je le fis sans rudesse, mais elle tomba comme évanouie. Je commençai à comprendre la réalité de ma situation, car il n’y avait personne dans le corridor, et les bruits du dehors devenaient de plus en plus alarmans. J’allais courir vers mes armes, lorsqu’un dernier mouvement de méfiance, ou peut-être un autre sentiment me fit revenir sur mes pas, et fermer à double tour la porte de la salle où je laissais Edmée. Je mis la clé
Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 10.djvu/54
Apparence